Les correspondances interceptées publiées dans les presses officielles pendant la Guerre d'Indépendance
Gérard Dufour
Le 18 juin 1811, lors de la discussion aux Cortès de Cadix du projet de décret présenté par Justo María Ibarnavarro, membre du Conseil royal, visant à déclarer coupables de félonie («infidencia») tous les afrancesados, le représentant de la Catalogne, Antonio de Capmany, qui s’était rendu célèbre par son ouvrage Centinela contra franceses, s’étonnait que les journalistes au service du roi Intrus ne fussent pas mis au premier rang de ces traîtres qu’il conviendrait de châtier avec la plus grande rigueur. Pour lui, le mal qu’ils faisaient à leur patrie par leurs écrits était le plus terrible que l’on pût imaginer et ils avaient d’autant moins d’excuses que si l’ennemi pouvait obliger quelqu’un à porter les armes, nul ne pouvait être forcé à prendre la plume.1
De fait, la Guerre d’Indépendance fut aussi une guerre de propagande dans laquelle les journaux jouèrent un rôle prééminent et, d’un côté comme de l’autre, l’on n’eut aucun scrupule à manipuler l’information pour convaincre de l’inutilité de suivre le parti adverse. La démoralisation (réelle ou supposée) des troupes et des populations civiles fut l’un des arguments les plus fréquemment utilisés pour tenter de convaincre l’adversaire de renoncer à la lutte. Aussi, pour prouver la véracité de ce type d’assertions toujours suspectes, l’on eut recours à un nouveau genre d’articles: la publication de correspondances interceptées et communiquées par les autorités à la presse officielle.
Ce périodique, qui paraissait deux fois la semaine, les mardi et vendredi et était diffusé dans toute l’Espagne, continua d’être le «journal officiel» du pouvoir dit légitime après le départ de Ferdinand VII de la capitale, puis son abdication à Bayonne. A vrai dire, on ne pouvait trop savoir si la Gaceta de Madrid était l’organe du Conseil Suprême mis en place par Ferdinand VII ou du commandement des troupes françaises. Mais cela ne faisait aucune différence: la Gaceta de Madrid était le porte-parole officiel des Français, et plus particulièrement du lieutenant général de l’Empereur, Joachim Murat, qui se donnait des airs de monarque.2
Le premier acte de Joseph en tant que souverain (tout juste désigné par Napoléon et pas encore proclamé par les députés à l’Assemblée dite nationale de Bayonne) fut de s’emparer symboliquement de la Gaceta de Madrid en faisant paraître un numéro extraordinaire le mardi 14 juin 1808 dans lequel il publia ses deux premiers décrets ainsi qu’une proclamation en sa faveur de plusieurs membres de l’Assemblée de Bayonne.3 La Gaceta de Madrid devait rester sous son contrôle jusqu’au dimanche 31 juillet 1808, date à laquelle la course de taureaux prévue pour ce jour était reportée, pour cause de jubilée au 4 août.4 La vraie cause de l’annulation de la fête était en réalité la retraite que Joseph et les troupes qui occupaient Madrid se voyaient contraints d’effectuer sur Burgos, retraite qui fut annoncée dans le numéro suivant de la Gaceta, le 2 août.5
Quatre mois plus tard, après la capitulation de Madrid, la Gaceta de Madrid repassait sous le contrôle des Français, plus précisément, de l’Empereur lui-même.6 Pour que nul n’en ignore, il fit publier le mardi 6 décembre 1808 un numéro spécial dans lequel on pouvait lire une déclaration de fidélité à sa personne et à la Constitution signée par ses ministres,7 ainsi qu’une lettre qu’ils avaient adressée aux membres de la Junte Centrale, au doyen du Conseil ainsi qu’au corregidor de Madrid.8 A partir du 11 décembre 1808 (date à laquelle Napoléon fit publier dans un numéro spécial les décrets qu’il avait pris à Chamartín en tant que maître de l’Espagne par droit de conquête) la Gaceta de Madrid devint quotidienne. Joseph, qui aimait les symboles, ne fit son entrée à Madrid que lorsqu’il fut débarrassé de la tutelle trop pesante de son frère l’Empereur, le 22 janvier 1809. Comme l’année précédente, il s’empressa de montrer qu’il était le maître de la Gaceta de Madrid en faisant publier dans le numéro du 25 janvier divers décrets parmi lesquels l’un portait sur l’obligation d’adresser tous les jours un exemplaire du journal aux archevêques, évêques, curés et maires9 et un autre précisait que la responsabilité de la rédaction de la gazette était confiée au ministre de la Police.10
La Gaceta de Madrid fut donc le journal officiel de Joseph jusqu’à ce qu’il dut pour la seconde fois abandonner Madrid, le 9 août 1812, à six heures du soir.11 Sa publication sous ce titre séculaire fut interrompue après le numéro 223 de l’année 1812, paru le lendemain. Il fut remplacé par la Gaceta de Madrid bajo el gobierno de la Regencia de las Españas, dont nous reparlerons. La Gaceta de Madrid (sans autre précision) revit le jour le 4 novembre 1812. Comme si le temps avait été aboli depuis sa dernière parution, on avait repris la numérotation là où l’on en était quand Joseph s’était retiré sur Valence, au n.º 224. Le 8 novembre, il n’y eut pas de gazette, Joseph ayant quitté la ville à la tête de ses troupes la veille. La Gaceta de Madrid sortit à nouveau des presses le 5 décembre et jusqu’au 27 mai 1813 (date à laquelle les troupes françaises évacuaient définitivement Madrid) elle devait être (pour la dernière fois) le journal officiel de la Cour de Joseph. On pouvait même y souscrire pour 180 réaux par an ou 90 réaux pour six mois pour Madrid et 320 réaux par an et 160 pour un semestre pour le reste du royaume (encore qu’il aurait été plus pertinent de dire ce qui restait du royaume).12
Seuls la Gaceta de Madrid et la Gaceta de Valencia (quand Joseph dut abandonner sa capitale pour se replier sur cette dernière ville) peuvent être considérées comme l’équivalent du Moniteur en France. Toutefois, partout où l’autorité de Joseph réussit à s’imposer quelque temps, Français ou afrancesados s’attachèrent soit à créer une presse locale à leurs ordres,13 soit à contrôler étroitement celle qui existait déjà. De ce fait, au mépris le plus total de l’article 145 de la Constitution de Bayonne qui garantissait la liberté de la presse (lato sensu), au mieux à partir de 1810,14 toutes les publications périodiques publiées dans les localités occupées par les troupes impériales furent des journaux officiels locaux. Sans être ignorés des historiens qui y trouvent une source d’information particulièrement intéressante, ces journaux ont rarement fait l’objet de recherches spécifiques.15 Le plus important d’entre eux fut assurément le Diario de Madrid que les Français voulurent faire disparaître au profit de la Gaceta de Madrid qui aurait eu ainsi l’exclusivité de l’information dans la capitale. Ainsi, le 10 mai 1808, le Diario de Madrid cessa-t-il de paraître et, la veille de l’Assemblée dite nationale de Bayonne, le 17 juin 1808, la Gaceta de Madrid annonça la disparition de son confrère, en précisant qu’elle accepterait désormais les petites annonces (qui constituaient le fonds de commerce du Diario) et que tous ceux qui avaient souscrit un abonnement au quotidien la recevraient à sa place.16 Joseph ayant dû fuir Madrid devant l’avance de l’Armée d’Andalousie, le Diario de Madrid ne tarda pas à renaître de ses cendres: le 8 août paraissait le second numéro 1 de l’année 1808. Quand Napoléon s’empara de la capitale en décembre de la même année, il ne fut plus question de sa suppression et le Diario de Madrid parut désormais sans interruption, traversant sans encombre, ni modification de titre, la Guerre d’Indépendance. Comme naguère sous les Bourbons, il fut à la fois un journal local (où les petites annonces en tout genre tenaient une place importante) et une sorte de Gaceta de Madrid «bis». C’est ainsi qu’il publia, en doublon avec celle-ci, les décrets que le gouvernement afrancesado jugeait les plus importants au niveau national (comme ceux relatifs aux promotions de l’Ordre Royal d’Espagne17). En revanche, il fut le seul à faire paraître les dispositions qui ne concernaient que les seuls habitants de la capitale, comme l’emprunt forcé que durent acquitter tous les commerçants, artisans et employés (nous dirions aujourd’hui, fonctionnaires) de la capitale.18
Du côté patriote, le panorama est beaucoup plus touffu. Le premier organe de presse officiel fut la Gaceta ministerial de Sevilla dont le premier numéro parut le mercredi 1 juin 1808. Tirée sur les presses sévillanes de la veuve d’Hidalgo et de son neveu (en la imprenta de la viuda de Hidalgo y Sobrino), elle était publiée sur ordre et avec l’approbation de la Junte Suprême de Gouvernement (por orden y aprobación de la Suprema junta de Gobierno).19
Destinée à faire connaître les informations officielles sur les événements en cours et les solides principes qui justifiaient la lutte contre l’usurpateur,20 elle devait paraître deux fois par semaine, le mercredi et le samedi. Toutefois, des numéros spéciaux étaient prévus en cas de nouvelles qu’il conviendrait de diffuser sans délai.21
Cette publication n’eut, dans un premier temps, qu’une diffusion régionale. On pouvait s’y abonner à Séville soit à la librairie d’Hidalgo, soit chez Antonio Correa, plaza del Salvador, messager de presse de son état, ou encore à Cadix et à Malaga (respectivement, chez les libraires Pajares et Martínez de Aguilar). Il en coûtait 35 réaux pour quatre mois si la gazette devait être livrée à Séville même, et 45 réaux pour le reste de l’Andalousie.22 Ces prix furent rapidement revus à la baisse: à partir du 29 juin, on put se procurer à Séville la Gaceta ministerial… pour six cuartos l’exemplaire soit chez Correa, soit chez Berard ou Francisco Carrera, qui tenaient chacun boutique aux deux extrémités de la rue Génova. Cela, le jour même de la sortie du périodique, Hidalgo étant ensuite le seul libraire chez qui on put se le procurer. Cet achat au numéro représentait une réelle économie pour les lecteurs, puisque les 32 numéros correspondant à quatre mois de publication ne revenaient qu’à 15 réaux et 18 maravédis23 au lieu des 24 qui étaient désormais demandés pour un abonnement de cette durée à Séville et des 36 en dehors de la ville.24 Petit à petit, s’accrut le nombre des points de souscription: le 2 juillet 1808, la Gaceta ministerial de Sevilla signalait que l’on pouvait s’abonner à Cordoue chez Rafael Rodríguez y Cuenca.25 Dans le numéro suivant, celui du 6 juillet, elle annonçait qu’on pouvait en faire autant à Jerez de la Frontera chez le receveur des postes (interventor de correos) Antonio Emigidio Hidalgo.26 Mais la Gaceta ministerial de Sevilla connaissait surtout bien de difficultés de diffusion le 20 septembre 1808, son rédacteur protestait de son entière bonne foi auprès des nombreux abonnés qui se plaignaient de ne pas recevoir le périodique.27 Le 25 octobre 1808, on apprenait qu’à Cadix, le libraire Victoriano Pajares ne se chargeait plus de recueillir les abonnements et qu’il fallait s’adresser pour cela à Josef Miel, rue San Francisco.28
Malgré ces difficultés évidentes de diffusion, la Gaceta ministerial de Sevilla n’en poursuivit pas moins sa publication jusqu’au mardi 10 janvier 1809, soit sept jours après avoir annoncé dans un numéro spécial le décès du comte de Floridablanca.29 La page 532 du numéro 65 fut la dernière qu’imprimèrent la veuve d’Hidalgo et son neveu pour ce périodique. La rédaction n’eut même pas un mot d’adieu pour ses lecteurs.
Quatre jours avant que ne disparaisse la Gaceta ministerial de Sevilla, le 6 janvier 1809, la Junte Suprême avait fait paraître un nouveau journal intitulé Gaceta del Gobierno dans le but avoué de rendre manifeste à l’Espagne entière tous ses efforts pour la sauver de l’ennemi astucieux et malin qui faisait tout son possible pour la réduire à l’esclavage et de faire connaître les mesures qu’elle prenait pour le bien de la Nation. Cette nouvelle gazette, qui suivrait le plan de celle de Madrid, ne serait publiée qu’une fois par semaine, le mercredi. Mais on publierait immédiatement un supplément si survenait quelque nouvelle d’importance, notamment si elle concernait l’Espagne.30
La Gaceta del Gobierno ne nous fournit aucune indication sur son prix de vente et sa diffusion. En revanche, les variantes des conditions d’impression laissent entrevoir une histoire éditoriale pour le moins agitée. Ainsi, du 6 au 16 janvier 1809 (soit pour quatre numéros ordinaires, un supplément à celui du 6 et un numéro spécial) put-on lire à la fin de la gazette qu’elle avait été imprimée «con licencia, en la imprenta de la calle de la Mar»
. Du 19 janvier au 27 janvier (deux numéros ordinaires, deux numéros spéciaux et un supplément), on trouve à cette place la mention «imprenta de la viuda de Hidalgo y Sobrino»
(ceux qui avaient publié la Gaceta ministerial de Sevilla). Du 3 février au 19 mai, la seule indication fournie est que le périodique bénéficie d’un privilège royal (con Real Privilegio). A partir du 20 du même mois jusqu’au 11 juillet, il est précisé qu’il sort des presses de l’imprimerie Royale de la Gazette, puis, à partir du 14 juillet jusqu’au 29 août 1809 (date du dernier numéro paru), de celles de l’imprimerie royale tout court.
Le rythme de production de la Gaceta del Gobierno est pour le moins surprenant également. Alors qu’il était annoncé dans le premier numéro qu’elle devait paraître une fois par semaine, tous les mercredis, ce même numéro parut un vendredi, le 6 janvier. Le suivant fut bien publié un mercredi, le 11, mais le troisième vit le jour trois jours seulement plus tard, le 14. Entre temps, était parus un supplément au numéro du 6 et deux numéros spéciaux, les 11 et 16 janvier. Le changement d’imprimeur (qui commença son travail par un numéro spécial en date du jeudi 19 janvier) fit que le numéro 4 vit le jour un vendredi. Désormais, ce fut le jour de parution normal de la Gaceta del Gobierno; du moins jusqu’au lundi 27 mars où fut publié, sans être numérotée, une gazette qui aurait dû être la quatorzième. Cela n’empêcha pas le numéro 14 de sortir le vendredi 31 mars. De nouveau, un tirage de la gazette gouvernementale sortit sans être numéroté le lundi 3 avril, alors que le suivant, le vendredi 7 avril fut donné pour le quinzième. Ces cafouillages correspondaient en fait à un changement de rythme de parution de la Gaceta del Gobierno qui sortit désormais les lundis et vendredis. Avec toutefois quelques anomalies: on passe ainsi, du vendredi 14 au lundi 17 avril, alors que la nouvelle périodicité est respectée et que la pagination est suivie, du numéro 17 au 19. On trouve aussi deux numéros 34, l’un pour le lundi 5 juin, l’autre pour le vendredi 3 juin. On «rattrapera le coup» en qualifiant de trente-sixième celui du lundi 12. De même le numéro 44, daté du mardi 11 juillet, commence à la page 689 alors que le supplément à celui du 7 se terminait à la page 692! Cette nouvelle erreur fait suite à un nouveau changement de périodicité de la publication qui, du 4 juillet, au 1 août compris eut lieu les mardis et vendredis. Le 3 août, la Gaceta del Gobierno changeait à nouveau de rythme de publication et passait à trois livraisons par semaine (les jeudis, samedis et mardis). Pour bien marquer la rupture, la numérotation des exemplaires et des pages recommençait à 1.
Les erreurs matérielles que nous avons signalées prouvent à l’évidence que les imprimeurs eux-mêmes ne s’y retrouvaient pas dans la masse de documents qu’ils devaient publier sous le titre de Gaceta del Gobierno. Il y avait bien de quoi! Car entre chaque numéro ordinaire de la gazette, combien de numéros spéciaux et suppléments pouvait-on éditer! Du 6 janvier au 28 avril 1809 (date à laquelle commence une très brève et très exceptionnelle série de trois numéros ordinaires sans suppléments ni numéros spéciaux), c’est à dire pour 21 numéros, on ne compte pas moins de 17 numéros spéciaux et 14 suppléments. Indubitablement, les membres de la Junta Central ne surent pas prendre la mesure de l’information à dispenser à leurs compatriotes. Cela ne les empêcha pas, comme nous le verrons, de veiller à ce que cette information fût efficace. Du moins, jusqu’au 29 août 1809, date à laquelle la Gaceta del Gobierno publia son dernier numéro. Ou du moins son dernier numéro en tant qu’organe de la résistance espagnole aux Français car, après avoir conquis Séville en février 1810, ces derniers y publièrent une nouvelle Gaceta del Gobierno, pensant peut-être duper l’opinion et rendant en fait un bel hommage au crédit qu’avait pu acquérir la première auprès des Sévillans.31
L’Espagne patriote demeura sans organe de presse jusqu’au 13 mars 1810, date à laquelle la Régence (créée le 29 janvier de la même année par le même décret qui mettait fin à la Junta Central) fit paraître à Cadix, sous les auspices de la Real Imprenta, la Gaceta de la Regencia de España e Indias. La diffusion de ce périodique bi-hebdomadaire paraissant le mardi et le vendredi ne fut tout d’abord envisagée qu’à l’intérieur même de Cadix où l’on pouvait se le procurer pour un réal (soit au même prix que l’ancienne Gaceta del Gobierno) chez les libraires Murquí et Navarro qui étaient tous deux installés plazuela del Correo. Mais dès le deuxième numéro, on annonça qu’on pouvait aussi se le procurer à la Isla de León, à la librairie de Marina, rue Royale.32 Faisant fi de la présence des troupes françaises en Andalousie, on annonça même le 16 mars 1810 que ceux qui avaient naguère souscrit à la Gaceta del Gobierno recevraient par la poste la nouvelle gazette.33 Une semaine plus tard, le 23, on faisait savoir que l’on acceptait les souscriptions venant de tous les points du royaume, ce qui était faire preuve d’un bel optimisme en oubliant les mésaventures qu’avait connues naguère la Gaceta del Gobierno. Mais la preuve indubitable du succès que rencontra la Gaceta de la Regencia de España e Indias est que l’on communiqua en même temps que tous ceux qui brûlaient d’impatience de lire la gazette pouvaient se la procurer avant même sa parution officielle. Il suffisait pour cela de se rendre, les nuits du lundi au mardi et du jeudi au vendredi, plazuela de San Agustín, à la casa del Consulado, où chaque exemplaire du périodique serait vendu le double de ce qu’il coûterait le lendemain. C’était, disait-on, ce qui c’était fait à Madrid pour la Gaceta,34 encore que nous n’ayons pas trouvé trace de cette pratique.
Le 28 janvier 1812, la Gaceta de la Regencia de España e Indias devenait la Gaceta de la Regencia de las Españas. La variation sémantique n’était pas mince et pouvait donner lieu à maintes interprétations. Cependant, les rédacteurs ne donnèrent aucune explication et ne firent aucun commentaire sur ce changement de titre, qui n’entraîna même pas le départ d’une nouvelle numérotation. Le numéro 12 de la Gaceta de la Regencia de las Españas succéda donc au numéro 11 de la Gaceta de la Regencia de España e Indias publié trois jours plus tôt, le 25 janvier. Comme si les deux titres étaient strictement équivalents et la modification apportée un non-événement.
La Gaceta de la Regencia de las Españas fut publiée à Cadix jusqu’en décembre 1813. Le 21 de ce mois, elle annonça qu’à compter du 1er janvier 1814, elle le serait à Madrid (ce qui était logique, puisque la Régence allait s’y installer). Les abonnés ne seraient pas lésés puisqu’ils continueraient à recevoir le périodique pendant le temps prévu, sans frais supplémentaires, et ceux qui voulaient y souscrire pouvaient le faire moyennant le prix de 210 réaux par an et 105 réaux pour six mois en s’adressant soit à l’Imprimerie Nationale, à Madrid, soit dans tous les services de postes.35 De fait, c’était bien l’Imprimerie Nationale (et non plus Royale) qui devait éditer à Madrid la Gaceta de la Regencia de las Españas. Elle le fit du 1er janvier 1813 au 10 mai 1814, date de la restauration de la monarchie absolue en Espagne.
Dans son premier numéro, la Gaceta de la Regencia de España e Indias crut bon de rappeler en quelles circonstances la Junta Central, d’abord, puis la Régence avaient été amenées à créer une presse officielle capable de suppléer à la Gaceta de Madrid. C’était parfaitement évident tant que la capitale était occupée par les troupes françaises. Cela l’était moins chaque fois qu’elle fut libérée et les explications fournies par la Gaceta de la Regencia de España e Indias par rapport à la période qui s’étend du 2 août au début décembre 1808 sont pour le moins embarrassées. La Gaceta de Madrid n’avait pas été privée de son rôle de presse officielle. Mais elle ne fut pas utilisée comme telle par la Junta Central qui, créée le 25 septembre 1808 à Aranjuez n’alla jamais s’installer dans la capitale.
En 1812, la Gaceta de Madrid cessa de paraître du mardi 11 au lundi 17 août après la fuite de Joseph pour Valence et l’entrée triomphale de Wellington dans la capitale. Pour bien montrer la rupture totale avec ce qui avait été l’organe de presse officiel du gouvernement de Joseph, on ajouta au titre la mention «sous le gouvernement de la Régence des Espagnes»
(bajo el gobierno de la Regencia de las Españas). Une telle référence donnait à la Gaceta de Madrid des allures de presse officielle, que confirmait l’indication que le tirage avait été effectué sur les presses de l’Imprimerie Royale. Mais des allures seulement. Ainsi, dans un dialogue entre un quidam («El Vulgo») et le Rédacteur de la Gaceta de Madrid, celui-ci précisait à la demande de celui-là ce qu’était une gazette et la différence qu’il convenait de faire entre celle qui était qualifiée de ministérielle (qui faisait connaître l’opinion du gouvernement) et celle d’un particulier (qui diffusait celle de son propriétaire). Le rédacteur de la Gaceta de Madrid sous-entendait ainsi que son périodique était un organe de la Régence, ce qui était pour le moins audacieux. En fait, il était le porte-parole des députés libéraux aux Cortès, comme en témoignait la déclaration de principe (qui précédait le dialogue entre le Quidam et le Rédacteur de la gazette) selon laquelle il était temps d’éclairer le peuple, que celui-ci pense par lui-même, qu’il connaisse ses propres intérêts et qu’on le traite comme une nation respectable d’hommes et qu’on cesse de le conduire comme un troupeau de moutons.36
Vendue 8 «cuartos» le numéro,37 la Gaceta de Madrid bajo el gobierno de la regencia de las Españas publia 33 numéros jusqu’au jeudi 29 octobre 1812, date après laquelle elle dut interrompre sa publication pour faire place, à partir du 4 novembre à la Gaceta de Madrid sans autre précision, c’est-à-dire, afrancesada. Les troupes françaises ayant à nouveau abandonné la capitale le 7 novembre, elle put reparaître le dimanche 15 novembre. Cinq numéros suivirent, les mardi 17, vendredi 20, mardi 24, vendredi 27 novembre et mardi 1er décembre, date de la dernière parution de Gaceta de Madrid bajo el gobierno de la Regencia de las Españas pour 1812.
Ce n’est que le jeudi 3 juin 1813, après que les madrilènes restèrent sept jours sans gazette, après l’évacuation cette fois définitive de la capitale par les troupes françaises, que la gazette de Madrid porta à nouveau la mention «bajo el gobierno de la Regencia de las Españas»
. Ce numéro et le suivant (daté du samedi 5 juin) sortirent avec l’indication qu’ils avaient été composés par l’Imprimerie Royale. Ensuite, elle parut normalement le mardi et le jeudi de chaque semaine. Mais elle n’était plus produite par l’Imprimerie Royale, mais par l’Imprimerie Nationale. Cela renforçait le sentiment que la Gaceta de Madrid bajo la Regencia de las Españas était bien un organe de presse officiel. Ce qu’elle n’était qu’en partie, car (comme nous l’avons vu) la Régence se refusa à renoncer à sa propre gazette et à redonner à la Gaceta de Madrid (même placée sous son autorité) le rôle qui était le sien avant la Révolution. Sans doute pour pouvoir mieux assurer sa diffusion, le prix de la Gaceta de Madrid bajo el gobierno de las Españas fut considérablement diminué puisqu’à partir du 7 août 1813 il ne fut plus que de cinq «cuartos» le numéro.38
On ne saurait évidemment parler de presse officielle pendant la Guerre d’Indépendance sans évoquer le Diario de las sesiones des Cortès de Cadix dont le premier numéro véritable est celui de la session du 16 décembre 1810 (ceux qui le précédent n’étant que des artefacts reconstitués à partir des notes des secrétaires de séances). Nous ne le ferons que pour mémoire, le caractère d’enregistrement des séances d’une assemblée constituante, puis législative, n’ayant rien à voir avec la presse gouvernementale qui nous intéresse aujourd’hui. Signalons toutefois le grand intérêt que suscita la lecture des débats des députés, puisque le 19 août 1812, parmi les annonces de librairie, le Diario de Madrid signala que l’on pouvait trouver chez le libraire Vizcaino (Calle de la Concepción Gerónima) les numéros du Diario de Cortes du 16 mai au 13 juin, de même, d’ailleurs, que ceux de la Gaceta de la Regencia du 21 mai au 21 juillet.39
La première lettre interceptée publiée dans un organe de presse officiel pendant la Guerre d’Indépendance le fut dans la Gaceta de Madrid du 15 décembre 1809, alors non seulement afrancesada, mais entièrement soumise à la volonté et au contrôle de l’Empereur lui-même. Elle avait été écrite (ou était censée avoir été écrite) à Aranjuez, le 18 novembre 1808, par le comte de Floridablanca lui-même au marquis de La Romana pour lui faire part des espoirs qu’il plaçait dans les forces d’Oneille (sic, pour O’Neill) et du général Saint-Marc qui s’étaient emparés de Caparroso.40 Outre l’intérêt de montrer que les «insurgés» étaient menés par un vieillard en piteux état de santé, il s’agissait surtout de faire voir par cette correspondance à quel point la situation militaire avait changé en feignant de se demander ce que le Président de la Junta Central pouvait bien se dire après les défaites de Caparroso, Tudela, Calatayud et Guadalajara et que la grande armée de la droite ait été réduite à moins de 6000 hommes.41
Nous ignorons si cette lettre était authentique ou pas et à moins de retrouver l’original dans des archives, nous l’ignorerons toujours. Mais si son authenticité est plausible, il n’en va pas de même pour le passage d’une correspondance familière (datée de La Corogne le 24 octobre) d’un sujet embarqué sur la Semiramis (un vaisseau anglais sans nul doute, bien que cela ne soit pas précisé). Sans indication du nom du signataire de la missive, ni précision sur la langue dans laquelle elle avait été écrite, on peut en effet douter de la réalité d’un discours qui n’était guère encourageant pour tous ceux qui comptait sur l’aide militaire britannique pour lutter contre Napoléon et où l’on déclarait ignorer quelle fatalité s’acharne contre les expéditions anglaises puisque Sir David Baird, venu sans être appelé par les Espagnols, était là depuis plusieurs jours avec près de 13000 hommes et que rien n’était prêt pour les recevoir de sorte que les troupes étaient encore à bord des embarcations de transport.42
Deux jours s’étaient écoulés entre la publication de la lettre interceptée de Floridablanca à La Romana et celle de ce sujet embarqué sur la Semiramis. On attendit encore deux jours pour faire paraître deux autres lettres interceptées.43 Mais dès lors, ce type d’article devient une rubrique régulière voire un feuilleton qui s’achève par un «à suivre» (se continuará) et commence par le mot suite (continúa): le 19 décembre on ne donna que deux missives. Mais on poursuivit la série le lendemain, avec onze autres lettres.44 Le jeudi 22 commenca une autre série. Là encore, on ne donna que deux lettres.45 Une troisième fut publiée dans le numéro suivant.46 Puis quatre autres, le lendemain.47 La série s’acheva le dimanche 25 décembre par deux dernières missives interceptées.48 On avait su distiller l’information. On avait su aussi (et surtout) donner le sentiment que les troupes françaises contrôlaient toute l’Espagne en produisant des documents rédigés aux quatre coins du royaume: Aranjuez, Yébenes, Campo de Criptana, Herencia, Santa Cruz de la Zarza, Villafranca, Tolède, La Carolina, Cadix, Grenade, la Isla de León, ou Santander. Habilement, on avait publié des signatures illustres (comme celle de Saavedra) à côté de celles d’inconnus, parfois identifiés par le seul prénom (Pedro ou Ignacio). On en tirait le sentiment que, parmi les patriotes, tout le monde était démoralisé, quel que fût son état (du soldat ou du moine jusqu’aux membres de la Junta Central). Si ces lettres avaient été le fruit d’une sélection parmi des correspondances véritablement interceptées, le choix fut habile. Si elles furent fabriquées de toute pièce (dans leur ensemble, ou seulement pour certaines d’entre elles), c’est du travail bien fait. Car nous verrons que les meilleures lettres interceptées étaient quand même celles que l’on écrivait soi-même.
Après une telle bordée, la Gaceta de Madrid n’eut pratiquement plus recours à ce type de publication. Tout au plus fit-elle, début janvier 1809, allusion aux correspondances qui avaient été saisies à Astorga sur des officiers anglais pour souligner le mépris dans lequel ils tenaient les troupes espagnoles en déclarant que l’on avait trouvé beaucoup de lettres que les officiers anglais s’adressaient d’un poste à un autre et divers courriers qui devaient être envoyés en Angleterre par les ports des Asturies et que l’on pouvait difficilement imaginer l’arrogance et le mépris dont ils parlaient dans ces lettres des corps espagnols qui avaient eu jusque là l’occasion d’opérer avec eux et qu’à les en croire, ils auraient été beaucoup plus forts s’ils avaient été seuls.49
Dans le même ordre d’esprit, le 23 janvier, fut publiée une lettre rédigée le 6 du même mois à Saint-Jacques de Compostelle par un officier anglais, L. M. Thurn, qui craignait de devoir quitter l’Espagne sans même avoir combattu.50 Mais jusqu’au 8 mars, on ne trouva dans la Gaceta de Madrid plus aucune correspondance interceptée.
La riposte de la Junta Central ne fut, dans un premier temps, graduelle et proportionnée au tir de l’ennemi. Dès son premier numéro (daté du 6 janvier 1809), la Gaceta del Gobierno publiait une lettre interceptée rédigée à Madrid le 26 décembre.51 C’était trois semaines après que la Gaceta de Madrid ait fait connaître à ses lecteurs la correspondance qu’avait adressée le conte de Floridablanca à La Romana. L’absence d’indication du signataire et du destinataire, le caractère général des accusations portées contre les Français, la présence à la fin du texte d’un résumé de celui-ci donnant des informations sur des succès remportés en Catalogne par les armes espagnoles (dont les madrilènes auraient difficilement pu être informés), l’imprécision sur la provenance de la lettre, simplement indiquée par la référence à «Madrid, 26 décembre 1808», tout nous porte à douter que ce courrier fut effectivement pris à l’ennemi.
Que cette pièce fût authentique ou fabriquée, ce qui importait, c’était de montrer que les Français n’étaient pas les seuls à intercepter les courriers. Cette impérieuse nécessité apparaît plus clairement encore quand, pour faire pièce à la série de correspondances interceptées publiées dans la Gaceta de Madrid du 22 au 25 décembre, la Gaceta del Gobierno consacra, pour l’essentiel, un supplément à son numéro du 27 janvier 1809, à la divulgation de papiers adressés de Paris à l’Empereur par la valise et qui avaient été saisis sans qu’il fut précisé où et quand («Extracto de algunos papeles interceptados en la valija dirigida desde Paris a Bonaparte»).52 On y donnait le résumé de lettres adressées de Munich par M. Otto (conseiller d’État), de Joséphine (donnant à son auguste époux des nouvelles des travaux du palais des Tuileries et lui demandant d’adoucir le sort du général Dupont), du Prince de la Paix, qui se faisait désormais appeler comte d’Evora, et du ministre des finances, le comte Mollien. Deux lettres, adressées à l’Empereur par le ministre d’État Chapmany et le ministre de la Police (Fouché), étaient citées textuellement, ainsi qu’un rapport confidentiel sur le climat politique à Paris. Ces textes étaient-ils authentiques? Peut être, pour la plupart (nous ne saurions le préciser aujourd’hui). Mais en tout cas certainement pas le rapport confidentiel dont le moins que l’on puisse dire est qu’il contient (au moins) une monstrueuse invraisemblance lorsqu’il affirmait que, au mépris de la réglementation en vigueur, à Paris les vendeurs de journaux avaient annoncé la victoire des troupes françaises en Espagne en hurlant dans les rues de Paris que les troupes françaises y avaient massacré civils, femmes et enfants. Il fallait être à Séville pour croire que la police impériale ne serait pas intervenue pour faire cesser immédiatement des cris qui portaient atteinte à l’armée impériale. De même, on avait cru bon de préciser dans ce rapport confidentiel que The Times était un journal anglais. Cela était sans doute utile pour la plupart des lecteurs de la Gaceta del Gobierno. Mais certainement pas pour Napoléon. Décidément, on avait vite appris à la Junta Central que l’expression «interceptée» conférait à la plus invraisemblable des nouvelles un caractère d’indiscutable authenticité.
La Gaceta de Madrid n’eut à nouveau recours à la publication de correspondances interceptées que le 8 mars 1809, date à laquelle elle offrit à ses lecteurs, en l’accompagnant de commentaires scandalisés, des ordres adressés par le général Cuesta pour mobiliser des civils.53 Manifestement, plutôt que d’attirer l’attention sur la résistance que rencontraient les troupes impériales, préférait-on dans le camp de Joseph I montrer les bienfaits que l’on devait attendre de son gouvernement éclairé en multipliant les articles de fond sur les sujets les plus divers, comme la navigation et le commerce intérieurs ou les bienfaits de la vaccination.54 La Gaceta del Gobierno offrit à ses lecteurs une lettre d’un officier français embarqué sur un navire de l’escadre de La Rochelle bloquée par la marine anglaise, le 5 mai.55 Quant à la correspondance d’un commerçant de Bayonne à un autre de Logroño qui fut publiée une semaine plus tard, et faisait manifestement partie des courriers interceptés, on se contenta de dire évasivement qu’on en avait eu connaissance «par hasard» (por casualidad se ha hecho pública).56 On hésitait encore à avoir systématiquement recours à ce genre de documents que n’avait jamais utilisé la Gaceta ministerial de Sevilla du temps où Floridablanca présidait la Junta Central.
Parmi les papiers saisis à l’ennemi figurait aussi des journaux. Pour dénoncer les mensonges sciemment propagés par leurs auteurs, la Gaceta de Madrid publia le 5 juin un extrait de la Gaceta extraordinaria política y literaria de Murcia del sábado 13 de mayo de 1809 en l’accompagnant de commentaires qui se voulaient sarcastiques.57 Elle recommença un mois plus tard, le 3 juillet, en reproduisant le texte de deux Gaceta[s] extraordinaria[s] del Gobierno, et d’un numéro spécial de la Gaceta del Principado de Cataluña.58 Des notes venaient infirmer les propos tenus dans ces articles qui, à en juger par les deux gazettes extraordinaires de Séville, avaient d’ailleurs été retranscrits avec la plus grande fidélité.59 L’argumentation sur les méfaits que les fausses informations pouvaient entraîner chez ceux qui y prêtaient foi était sans doute spécieuse. Mais elle s’accompagnait d’un vibrant hommage aux malheureuses victimes du siège de Saragosse qui ne manque pas d’intérêt.60
Quand Wellington entreprit, pour s’emparer de Madrid, la campagne qui devait être arrêtée par Joseph I et le maréchal Jourdan à Talavera (27-28 juillet 1809), la Gaceta del Gobierno reprit la publication des correspondances interceptées. Le 18 juillet, elle reproduisait une lettre d’un commerçant de Marseille à un général français qui se trouvait en Catalogne. A en croire ce témoignage, le midi de la France était en rébellion ouverte contre Napoléon ce qui, évidemment, ne pouvait qu’encourager les Espagnols à lutter contre lui.61 Sept jours plus tard, les lecteurs de la Gaceta del Gobierno trouvaient des correspondances officielles saisies à l’ennemi: une lettre, de Zamora, du commissaire des Guerres à l’Intendant général de l’armée de Soult, à Madrid; deux missives du maréchal Soult, toutes deux de La Puebla de Sanabria, l’une au général Franceschi, l’autre à Joseph et enfin une correspondance adressée à M. Carlos, commissaire des guerres à Madrid.62 Trois jours plus tard, le 28, alors que les combats faisaient rage à Talavera, la Gaceta del Gobierno publiait à nouveau deux lettres du maréchal Soult: l’une au général Franceschi, l’autre à Joseph. L’une et l’autre avaient été écrites à Puebla de Sanabria: la première le 26 juin, la seconde le 25.63 Mais l’espoir que pouvait susciter la constatation que le roi intrus n’était même pas en mesure de recevoir le courrier que lui adressait un maréchal de l’Empire fut vite dissipé par le résultat de la bataille de Talavera: elle avait certes coûté cher aux Français; mais les troupes alliées n’avaient pas réussi leur percée sur Madrid. La campagne de presse s’acheva comme la campagne militaire et la Gaceta del Gobierno renonça désormais à la publication de correspondances interceptées.
A la cour de Joseph, l’alerte avait été chaude et la correspondance que le commissaire de police Lagarde (qui informait directement Napoléon de ce qui se passait à Madrid) ne laisse aucun doute sur le fait que la population, informée des mouvements des troupes alliées, avait publiquement manifesté son espoir et son impatience de voir les Français évacuer la capitale comme l’année précédente à même époque.64 Il s’agissait donc pour le gouvernement afrancesado de montrer l’inanité des nouvelles propagée par la Junta Central. Evidemment, on eut recours pour cela aux courriers interceptés. Le 13 août 1809, avant de célébrer en grande pompe la saint Napoléon, elle reproduisait trois lettres interceptées: la première avait été adressée le 22 juillet de Campo de Talavera à une certaine Eleonor par le plus enthousiaste (más apasionado) de ses admirateurs, Francisco Martín; la deuxième, du 2 juillet, l’avait été de Campo de Santa Olalla par un certain Francisco Xavier Gonzalez à son ami Francisco; et la dernière (écrite au même endroit, le 26), était le fait d’un militaire, Matias Bincueira, s’adressant au général Juan de Pignatelli. Tous ces écrits manifestaient le désarroi des civils et des militaires qui s’estimaient dupés par les faux espoirs qu’avait fait naître en eux une propagande mensongère comme le soulignaient la notice de présentation et les commentaires qui accompagnaient ces textes.65
S’agissait-il de vraies lettres interceptées? Nous ne saurions le dire. En revanche, le long courrier attribuée à un commerçant de Cordoue paru le 28 septembre 1809 dans la Gaceta de Madrid a tout d’une «vraie fausse» lettre interceptée.66 Car comment croire qu’un commerçant, s’adressant à l’un de ses correspondant, ait pu écrire un texte de 7250 espaces environ (l’équivalent de près de deux pages à interligne simple d’une police 14 Times New Roman de nos ordinateurs) pour discourir de politique générale après n’avoir consacré que quatre lignes (au demeurant particulièrement vagues) à ses affaires?67 Cet écrit ressemble trop à ces lettres de prétendus vrais espagnols écrites l’année précédente par Juan Antonio Llorente68 pour que nous nous laissions prendre au piège. Et les lecteurs de l’époque ne se laissèrent sans doute pas plus abuser que nous.
La Gaceta de Madrid n’en publia pas moins deux jours plus tard, le 30 septembre une nouvelle lettre, exactement du même type, mais encore plus longue (10710 espaces). Se payant d’audace, l’auteur véritable suggérait qu’elle pouvait avoir été écrite rien moins que rien que par un membre du gouvernement de Séville.69 L’effet produit ne dut pas être celui escompté, car on en resta (provisoirement) là. En revanche, pour dénoncer les mystifications, inventions de toute pièce et contradictions publiées dans la presse par les rebelles à l’autorité de Joseph, la Gaceta de Madrid publia régulièrement du 7 au 14 octobre des extraits de la Gaceta del Gobierno saisis dans les courriers interceptés.70 Les textes étaient fidèlement reproduits (nous avons pris la peine de le vérifier). Mais, évidemment, des notes venaient éclairer le lecteur sur les «monstruosités» qu’on lui mettait sous les yeux.71 Ce type de publication d’articles de presse trouvés car des courriers interceptés sera repris e temps en temps de façon épisodique, sans doute au gré des prises et du parti que l’on pouvait en tirer.72
Les articles de la Gaceta del Gobierno conféraient aux correspondances interceptées publiées dans celle de Madrid une authenticité dont on pouvait sérieusement douter pour la plupart, voire toutes les lettres. Ainsi les lecteurs de la Gaceta de Madrid du 29 novembre 1808 trouvèrent-ils dans leur journal une lettre interceptée adressée par un officier fait prisonnier à la bataille d’Ocaña et adressée à l’un de ses amis habitant Séville à propos de la guerre et des maux qu’elle entraînait pour la Nation.73 Sa confession était certes émouvante puisqu’après avoir dépeint les conditions (ô combien différentes de celles que l’on se promettait à Séville!74) il insistait sur la bonté du roi Joseph, dont l’humanité avait sauvé la vie à un très grand nombre de soldats à Ocaña, se montrant ainsi digne de gouverner la Nation comme l’avaient proclamé les quelques 8000 prisonniers auxquels il s’était mêlé en toute confiance pour leur parler avec bonté et sagesse. Aussi avait-il compris que c’était une folie de se faire tuer pour ne pas avoir un bon roi et une excellente constitution.75 C. q. f. d., dirait un scientifique. Mais l’auteur de ce poulet avait seulement oublié qu’il était impossible d’intercepter la correspondance d’un prisonnier pour la simple raison qu’il n’était pas en mesure d’en expédier.
Se rendit-on compte, dans l’entourage de Joseph, d’une telle maladresse? Fort probablement. Car si l’on continua à publier régulièrement des lettres saisies,76 on chercha à leur donner plus de crédibilité en précisant le plus souvent (ce qui n’était pas le cas jusque là) le nom et l’adresse du destinataire portés sur l’enveloppe. Eurent à ce titre les honneurs de la presse le P. Juan García Donas, lecteur de théologie des ordres mineurs de Valence,77 don Josef María Calleja, curé à Cuenca, dans la Manche,78 don Martínez (sic) Izquierdo, calle mayor, à Madrid, dont on annonça au passage qu’il avait été déporté à Bayonne pour avoir manifesté son soutien aux «insurgés».79 Pour que les lecteurs fussent bien persuadés que les correspondances publiées dans la Gaceta de Madrid était parfaitement authentiques, on fit précéder, la veille, la publication le 17 janvier 1810 d’une lettre (abondamment annotée) du gouverneur de Lérida, Joseph González,80 de l’information des circonstances dans lesquelles ce document (avec d’autres en provenance de Valence et de Catalogne) était tombé entre les mains du gouvernement: on précisa même le nom du porteur de ces plis: un certain Antonio Martínez, et même, d’après son passeport, la date à laquelle il était parti de Valence (le 4 janvier).81
On n’indiqua pas le nom et l’adresse du destinataire de la lettre interceptée qui fut publiée dans la Gaceta de Madrid du 19 janvier 1810, mais ceux du signataire, un certain Salvador Sánchez, de Villena. Malgré ces précisions (somme toute fort relatives), cette «lettre supposée d’un insurgé converti à l’un de ses amis de Séville»
n’était qu’une «composition de M. le chanoine Estala». Tels furent les termes employés par le comte de La Forest, l’ambassadeur de France à Madrid, pour signaler le fait dans la correspondance qu’il adressa le jour même de la parution de ce texte au ministre des Affaires Étrangères de l’Empire, Chapmany, pour l’assurer des moyens mis en œuvre pour gagner l’opinion publique.82 Assurément le P. Estala, «la meilleure plume et l’esprit le plus au niveau du temps que le gouvernement royal ait [eu] sous la main»
était un homme précieux pour Joseph et il n’y a rien d’étonnant à ce que ce dernier ait décidé de l’emmener avec lui pour la campagne d’Andalousie afin de rédiger des proclamations et d’autres écrits qui devaient être tirés sur une imprimerie mobile.83 Si l’on devait un jour publier les œuvres complètes de Pedro Estala, il faudrait se garder d’oublier cette singulière contribution à la Gaceta de Madrid que le lecteur trouvera en appendice au présent article.
Les correspondances officielles françaises interceptées publiées dans la Gaceta de la Regencia de España e Indias ou l’assiégeant assiégé
Le succès de la campagne d’Andalousie, au début de 1810 rendirent inutiles de semblables subterfuges et la Gaceta de Madrid ne publia plus aucune lettre interceptée (vraie ou fausse) avant le 11 mai 1810, deux jours avant le retour moins triomphant que prévu de Joseph dans sa capitale. Ce jour là, ses lecteurs découvrirent trois documents adressés à la Junte de Badajoz ou émanant d’elle.84 Le lendemain, ils pouvaient prendre connaissance d’instructions de «la Junta Superior de Gobierno au général Freire et la réponse de celui-ci».85
C’était la riposte des autorités de Madrid à celles de Séville qui avaient fait paraître dans un supplément à la Gaceta de la Regencia de España e Indias du 17 avril et un numéro spécial de ce même périodique en date du 2 mai trois lettres adressées à son souverain par le ministre de la police de Joseph, Pablo Arribas.86 En faisant publier ces lettres (qui semblent parfaitement authentiques) la Régence pouvait à bon droit espérer remonter le moral des patriotes qui avait été fortement malmené par l’entrée du roi intrus dans Séville. En effet, elles établissaient clairement que l’ennemi n’était même pas en mesure d’assurer la protection de ses courriers officiels, à la merci, entre Madrid et Séville des «vaillantes guérillas».87 Mais cette correspondance avait aussi l’avantage de faire apparaître les dissensions entre afrancesados et français, et le mépris profond dans lequel ces derniers tenaient ceux qui les aidaient. Pour que chacun en fût bien persuadé, les rédacteurs de la Gaceta de la Regencia de España e Indias insistèrent d’ailleurs sur ce point en expliquant que l’ambassadeur auquel faisait allusion Arribas dans la première lettre publiée dans le numéro spécial était celui de France et que l’on voyait bien, par cette allusion et toute la lettre, le peu d’harmonie qui régnait entre les ministres de Napoléon et de Joseph, de même que l’espionnage auquel ils se livraient mutuellement; l’ignorance dans laquelle Joseph lui-même était tenu des desseins de son frère; l’indépendance et la suffisance avec laquelle le gouvernement français traitait les affaires d’Espagne ainsi que l’abjection et le mépris qu’il portait au gouvernement franco-espagnol. Tel était le sort, concluait la Gaceta de la Regencia de España e Indias, que méritaient ces Espagnols avilis qui, abandonnant la cause de leur patrie, se proposaient de forger eux-mêmes les chaînes qui devaient l’emprisonner: les Français les méprisaient au fond d’eux-êmes alors qu’ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer la ténacité et la magnanimité des patriotes qui luttaient pour leur liberté, ce qu’il était possible de confirmer par plusieurs faits que les courtisans de Joseph n’ignoraient pas.88
La publication de la correspondance d’Arribas à Joseph ne constitua pas un «scoop» sans lendemain mais une première. Le 11 mai, les lecteurs de Gaceta de la Regencia de España e Indias découvraient, annotées, deux lettres adressées au ministre afrancesado Mariano Urquijo, dont l’une par Arribas.89 Un mois plus tard, le 12 juin, un supplément à la gazette faisait connaître une correspondance interceptée et publiée par le commandant de la province de Cuenca, Luis Alexandro Bassecourt.90 On était encore dans l’information ponctuelle. Mais à partir du mois de juillet et jusqu’au mois d’octobre 1810, il n’eut guère de semaine où la Gaceta de la Regencia de España e Indias ne publia pas de documents saisis à l’ennemi. La fréquence de ce type d’articles parle d’elle-même sur l’importance que leur accordait la Régence qui les fit divulguer les 6, 10, 13, 20 juillet, 5, 14, 24, 28 août, 4, 7, 14, 20, 25, 29 septembre, et 9, 13 et 25 octobre. Certains jours, comme le 24 août, ou les 4 et 7 septembre, on put trouver des courriers interceptés et dans le numéro normal de la gazette et dans un supplément. Au reste, le tiers pratiquement de ces lettres interceptées (7 sur 20) parurent dans des suppléments ou firent l’objet d’un numéro spécial de la Gazette, ce qui soulignait le caractère exceptionnel de l’information qu’elles contenaient.91
Dans le numéro du 10 juillet, on trouvait des nouvelles et des rumeurs en provenance de correspondances particulières. Dans celui du 24 août, on faisait état de la piètre opinion d’officiers français sur la situation du maréchal Suchet devant Tortosa. Et dans celui du 9 octobre, on pouvait lire diverses lettres privées à côté d’un courrier attribué au ministre de la Marine de Joseph, Mazarredo et de lettres d’afrancesados «bien placés» qui exprimaient leur crainte d’être «f…s» («j…s»).92 La Régence aurait assurément pu multiplier les témoignages de découragement dans les rangs des afrancesados, ou des militaires au service de Joseph, même si tous les témoignages saisis n’allaient pas dans le même sens.93 Mais elle préféra s’en tenir à exhiber des courriers dont les dignitaires du gouvernement de Madrid ou les principaux chefs militaires français avaient été les signataires ou les destinataires, comme les ministres Arribas, Urquijo, Azanza, Pereyra, Mazaredo, ou les maréchaux Berthier, Mortier, Masséna, Soult, Victor, etc. Joseph lui-même était au nombre de ceux qui n’avait pas reçu certaines missives qui leur étaient adressées et c’étaient les lecteurs de la Gaceta de la Regencia de España e Indias qui prenaient connaissance des plis que lui avaient adressés le prince de Wagram, Berthier,94 Azanza.95 Celui qui se croyait le maître de l’Europe, Napoléon lui non plus n’avait pas reçu deux courriers que lui avaient envoyés par un ministre de son frère, Mazarredo,96 et le maréchal Mortier.97 Mais le clou de cette collection diplomatique était assurément la lettre personnelle que Joseph avait rédigée à l’attention de sa femme et qui était tombée entre les mains des guérillas. Pour en assurer l’authenticité, le texte fut publié, dans la Gaceta de la Regencia de España e Indias du 29 septembre 1810, en français, avec traduction en espagnol en regard.98
La publication réitérative de tels documents (sur l’authenticité desquels nous reviendrons plus loin) était extrêmement habile. Ils montraient en effet à tous ceux qui se trouvaient à Cadix (députés aux Cortès, troupes, population civile) que leurs assiégeants étaient eux-mêmes assiégés de toute part dans le reste de l’Espagne et qu’ils étaient incapables d’assurer les communications entre leurs lignes, l’un des principes de base de l’art de la guerre.99 Ils témoignaient aussi, opportunément, de l’efficacité des «vaillantes» guérillas (valerosas, l’adjectif est homérique) qui les avaient saisis, de haute lutte,100 au moment où se posait la question du commandement unique des troupes alliées et du rôle que jouait l’armée régulière espagnole dans le conflit. Les lettres interceptées publiées dans la Gaceta de la Regencia de España e Indias n’étaient pas seulement destinées aux Espagnols. Elles s’adressaient aussi au gouvernement de Sa Gracieuse Majesté pour lui rappeler la part que les Espagnols prenaient dans la lutte contre l’ennemi commun.
Face à la véritable avalanche de correspondances interceptées publiées dans la Gaceta de la Regencia de España e Indias, la Gaceta de Madrid se montra fort discrète en la matière. Elle n’en revint pas moins à ses vieux démons en imprimant une lettre soi-disant adressée de Marbella à un de ses amis par un certain Josef Valdivia, bien connu (disait-on) pour sa conduite et la part qu’il avait prise dans les soulèvements de Grenade.101 Mais comment pouvait-on se laisser abuser par un texte où l’auteur avait le front d’écrire (même à un intime) que sa «famille se trouvait à Gibraltar parce que le gouvernement anglais lui accordait toutes sortes de faveurs alors que le sien le méprisait, et qu’il était si généreux envers lui qu’il lui donnait tout l’argent qu’il demandait pour sa famille ou pour lui-même»102?
Mais la Gaceta de Madrid n’insista pas dans cette voie. Tout au plus publia-t-elle, le 19 mars 1810, quatre lettres de particuliers interceptées sur le «paquebot de Cadix». A vrai dire, ces correspondances familières n’avaient d’autre intérêt que de montrer (ou faire croire) que le détroit de Gibraltar était sous le contrôle des Français.103 Mais, de façon plus astucieuse, pour montrer l’inquiétude des officiers anglais, et même de leur commandant, la Gaceta de Madrid utilisa non pas des correspondances interceptées mais bel et bien publiées dans la presse anglaise. Ainsi le 27 novembre 1810, dans la rubrique «Grande Bretagne», put-on lire diverses lettres dont celle adressée le 30 avril par un officier britannique à l’un de ses amis de Plimouth dans laquelle il déclarait tout de go que les Espagnols détestaient les anglais plus encore qu’eux les Français et qu’ils se réjouiraient d’être débarrassés d’eux et que leur vœux ne tarderaient sans doute pas à être exhaussés.104 Le texte original avait-il bien été publié dans le General Advertiser du 27 juin 1810? Quoi qu’il en soit, le 31 décembre 1810, les lecteurs de la Gaceta de Madrid pouvaient prendre connaissance, toujours à la rubrique «Grande Bretagne» d’une revue de presse dans laquelle figurait une lettre adressée de Pero Negro à lord Liverpool par Welligton le 3 novembre. Sans se montrer défaitiste, le commandant en chef anglais se montrait préoccupé par la situation militaire. La référence à une vague «Gazette extraordinaire» était censée conférer à ce document toute l’authenticité voulue mais rend impossible toute vérification. En fait, à la Gaceta de Madrid, on n’osait plus avoir directement recours à la publication de correspondances interceptées: le coup avait fait long feu.
Au cours de l’année 1811, la Gaceta de Madrid ne publia pratiquement pas de lettres saisies à l’ennemi. Et quand elle le fit, elle se garda toujours d’employer le terme d’«interceptée» pour les qualifier, préférant, le 11 mars, parler de «lettres particulières»
. Et pourtant, il s’agissait bien de cela, puisque l’on pouvait lire, à la rubrique «Nouvelles d’Espagne et de Portugal»
, créée pour la circonstance, trois lettres écrites à Lisbonne dans lesquelles on s’inquiétait de la situation militaire des alliés en raison des mouvements des troupes françaises.105 Il fallut attendre le 19 septembre pour trouver dans les colonnes de l’organe de presse des afrancesados une nouvelle correspondance adressée à l’ennemi. Et encore ne pouvait-on pas parler véritablement de lettre interceptée, mais plutôt communiquée, puisqu’elle était censée avoir été écrite à l’intention de la Junte principale de la Principauté de Catalogne par le général Antonio Martínez pour lui annoncer la reddition du fort de Figueras et qu’il était prisonnier de guerre, ainsi que toute la garnison qui avait été traitée par les Français avec la générosité propre à leur nation.106
Pendant près de neuf mois, la Gaceta de Madrid ne publia aucune correspondance interceptée. Ce n’est que le 8 juin 1812 que ses lecteurs découvrirent une nouvelle lettre, soi-disant saisie à l’ennemi.107 Mais le véritable auteur avançait avec des sabots si gros qu’on l’entendait venir de dix lieues à la ronde. Ce fut la dernière correspondance interceptée que l’on trouva dans la Gaceta de Madrid avant le 11 août 1812 date à laquelle sa publication fut suspendue pour cause de retraite de Joseph et des troupes françaises sur Valence. Lors de la très brève reprise de sa publication, en novembre 1812, puis dans les derniers mois où elle servit de journal officiel à Joseph, ses rédacteurs renoncèrent à toute publication de lettre interceptée (vraie ou fausse). Tout au plus usèrent-ils de nouveau, fort ponctuellement, le 14 décembre 1812, de l’expédient de reproduire la lettre (fort critique à l’égard des patriotes espagnols) d’un officier anglais déjà publiée dans le journal britannique Statesman du 21 août 1812.108 Mais qui pouvait vérifier, à Madrid, que le Statesman avait bien publié un tel texte? En tout cas, c’est en vain que l’on cherchera des correspondances interceptées dans la Gaceta de Madrid du 8 juin 1812 au 27 mai 1813, date à laquelle parut le dernier numéro de la gazette contrôlé par les Français et les afrancesados.
La Gaceta de Madrid avait donc renoncé à un type d’informations (vraies ou fausses) qu’elle avait été la première à utiliser. A vrai dire, ses rédacteurs avaient pratiquement renoncé à tout pendant l’absence d’Espagne de Joseph (du 13 mai au 27 juin) et, par exemple, les nouvelles d’Espagne du 12 juin 1811 se limitèrent au programme des théâtres et aux cotisations de la Bourse de Madrid. Cela représentait à peine un tiers d’une des deux colonnes de la dernière page (sur six) que comptait la gazette.109 L’espoir avait changé de camp, le combat changé d’âme. Mais même lorsque les afrancesados reprirent quelque peu confiance avec le retour du Roi dans sa capitale (le 15 juillet), et publièrent à nouveau dans la Gaceta de Madrid des textes de propagande en sa faveur, ce fut en donnant la parole à des personnages aux noms significatifs de Patricio Cantaclaro,110 Papamoscas, Justo Patricio,111 soit sous forme de lettres adressées à la rédaction, soit sous forme de dialogues, soit en combinant les deux genres. Pour donner plus de sel ou de sens à ces personnages, on leur inventa même des adresses hautement symboliques: l’un d’eux, Irato (Colère), demeurait rue Tienstoitranquille, à côté de Saint Juste («El Irato. Calle de Tientetieso junto a San Justo»);112 l’autre, Prudencia Paz, à côté des Filles repenties («calle de Atocha, cerca de las Arrepentidas»).113 On en revenait ainsi aux bonnes vieilles recettes de la presse du siècle antérieur.114 On usa aussi de l’ironie en définissant (à la mode afrancesada) le sens des expressions en usage chez les «rebelles».115 On créa même une rubrique «Nouvelles de Cadix»
qui tendit à devenir quotidienne à partir du mois de novembre 1811.116 Le 4 janvier 1812, les nouvelles d’Espagne furent même exclusivement composées, à l’exception du programme des spectacles donnés ce jour là dans les théâtres de Madrid, d’extraits de journaux de Cadix, publiés sans le moindre commentaire.117 Se rendant sans doute compte du piètre effet d’une information qui ne faisait que reprendre celle donnée par la presse adverse, la Gaceta de Madrid veilla ensuite à ce que la rubrique «nouvelles de Cadix» fût diluée dans d’autres types de nouvelles et n’apparût que de temps en temps. Il n’en reste pas moins que l’on trouva très régulièrement dans ses colonnes des revues de presse des journaux de Cadix, avec publication de larges extraits de ses articles ou des comptes rendus des séances des Cortès. Il s’agissait de montrer les dissensions qui existaient parmi les députés aux Cortès, les méfaits de leur politique aux Indes, que les députés libéraux ne faisaient que reprendre la politique menée par Joseph, notamment en ce qui concernait l’Inquisition...118 et sans doute aussi que l’on avait quelques espions chez l’ennemi. Mais à vrai dire, on peut fortement douter que ces «nouvelles de Cadix» (dont l’utilisation par les afrancesados mériterait d’être étudiée en détail) aient produit chez les lecteurs de la Gaceta de Madrid les effets qu’en attendaient ses rédacteurs. En fait, ils fournirent ainsi à la Régence et aux Cortès une tribune inespérée. A Cadix, en revanche, on ne commit pas une telle erreur et l’on exploita à fond la publication des lettres interceptées.
Entre les mois d’octobre 1810 et de juin 1811, la Gaceta de la Regencia de España e Indias ne publia que par trois fois des correspondances saisies à l’ennemi: le 25 décembre 1810 ainsi que les 1er janvier et 21 mai 1811. L’objectif était toujours le même: montrer les difficultés que connaissaient les principaux chefs militaires français119 et faire la démonstration que les guérillas empêchaient toute communication entre les lignes françaises et avec la France.120 Mais le 11 juin 1811, les informations que fournissaient de nouvelles lettres interceptées publiées dans le supplément de la Gaceta de la Regencia de España e Indias étaient véritablement extraordinaires puisque l’une d’elles, adressée à l’empereur Napoléon depuis Madrid le 24 mars, était de la main même de Joseph qui présentait à son auguste frère sa renonciation au trône d’Espagne.121
Dès lors, la Gaceta de la Regencia de España e Indias publia régulièrement de tels documents: le 25 juin,122 le 6 juillet,123 les 17,124 20,125 29126 et 30 août.127 Cela tournait même au feuilleton quand on jugea bon de faire une pause. On ne reprit que le 30 novembre.128 D’autres lettres furent publiées le 17 décembre 1811129 puis le 7 janvier 1812.130 La première lettre interceptée qui parut sous le nouveau titre de Gaceta de la Regencia de las Españas, ne fut communiquée au public que le 30 mai.131 Il s’agissait d’une correspondance adressée de Paris par le maréchal Berthier au général Dorsenne dont le principal intérêt résidait dans le fait d’avoir été interceptée. Le 2 juin, les lecteurs de la gazette de la Régence découvraient des textes d’une toute autre importance, puisqu’il s’agissait de lettres écrites de la main même de Joseph qui avaient été saisies à l’issu de l’attaque par Espoz y Mina d’un convoi militaire parti de Madrid pour Bayonne.132
Faute d’avoir à tout instant de tels scoops à offrir à ses lecteurs, la Gaceta de la Regencia de las Españas en vint à publier, les 21 juillet et 8 août, des lettres interceptées déjà parues dans d’autres journaux patriotes. La première série était constituée de trois lettres, deux de Pedro de Mora y Lomas, préfet de Grenade, l’une à Mariano Urquijo, l’autre à Joseph, et la dernière d’un officier d’État Major de Soult à l’un de ses amis appelé Martin.133 Le second jeu de correspondance interceptée, déjà publié dans la gazette de La Corogne, introduisait une nouveauté car, à côté de courriers officiels de personnages de l’importance de Joseph ou du maréchal Jourdan, on y trouvait aussi ceux, personnels, d’officiers à leurs camarades et même une lettre d’amour (au demeurant, bien émouvante) d’un aide de camp du maréchal Soult à une demoiselle de Ciudad Rodrigo.134 Entre temps, le 3 août, deux lettres de Mariano de Urquijo au ministre de la Police Arribas avaient été insérées dans un supplément à la gazette du 3 août. La première de ces lettres n’avait rien de secret, puisque, comme on le précisait en note, elle avait déjà été publiée dans la Gaceta de Madrid. Mais la seconde témoignait de la part de son auteur d’un abattement qui, en soi, justifiait tous les espoirs chez les patriotes.135
En août 1812, alors que les troupes de Wellington s’étaient emparées de Madrid où fut proclamée la Constitution de 1812, la Gaceta de la Regencia de las Españas, attachait encore une grande importance à la publication de lettres interceptées. Elle faisait même feu de tout bois, puisque dans le numéro du 25, on trouvait successivement copie de correspondances de Joseph au général Rey et à Arribas,136 puis deux pages plus loin, quelques lignes d’une lettre adressée à un ami par un employé qui suivait Joseph,137 et enfin, deux pages plus loin également, le texte d’un pli adressé au général Brayer.138 Par l’aspect «livraison en vrac» de ces nouvelles, on cherchait sans doute à montrer que les correspondances interceptées affluaient de toute part. Mais le plus important était de pouvoir affirmer que la correspondance de Joseph avait été remise par celui-là même à qui elle avait été confiée et d’inciter les autres courriers à suivre un tel exemple.139
A vrai dire, il n’y avait plus besoin de lettres interceptées pour convaincre que ceux qui avaient embrassé la cause de Joseph avaient partie perdue. Tout n’était plus qu’une question d’ordre militaire. La Gaceta de la Regencia de las Españas ne publia aucune correspondance de ce type jusqu’au début janvier 1813. Pour sa part, pendant la période où elle put paraître sous la protection des troupes de Wellington, la Gaceta de Madrid bajo el gobierno de la Regencia de las Españas n’en publia aucune, ne reprenant même pas celles qui avaient paru dans la gazette des autorités de Cadix.
En 1813, deux numéros de la Gaceta de la Regencia de las Españas publièrent à nouveau des correspondances interceptées. Mais il s’agissait de textes déjà diffusés dans la presse londonienne et saisis, non pas en Espagne, maisen Russie.140 S’agissant de l’Espagne, ce type d’information devint véritablement sporadique puisqu’on ne les trouve que dans les numéros du 1er avril,141 du 22 juin142 et du 25 septembre 1813.143 Dans la dernière lettre interceptée publiée à Cadix par la Régence, on annonçait le lancement à Toulon d’un navire corsaire. On était loin des scoops qu’avait constitués naguère la mise au grand jour des correspondances privées de Joseph. Mais cela montre à quel point les rédacteurs de la Gazette de la Régence eurent de mal à renoncer à une rubrique qui s’était montrée si efficace.
Les afrancesados avaient été les premiers à faire paraître dans la presse des correspondances interceptées. Ils renoncèrent cependant vite à ce type de publication. Non par manque de matériau: pour eux, les lettres saisies à l’ennemi n’étaient qu’une variante du courrier des lecteurs, un genre qui avait fait ses preuves et qui, alors comme aujourd’hui, était bien souvent rédigé par les journalistes eux mêmes du périodique qui publiait les textes qui lui avaient soi-disant été adressés. Les Andujar (principal rédacteur de la gazette), Estala, Llorente, et autres plumitifs au service de Joseph auraient parfaitement pu continuer à produire de semblables écrits. S’ils ne le firent que très épisodiquement en 1810, 1811 et 1812 et plus du tout après le 8 juin de cette dernière année, ce n’est pas parce qu’ils avaient renoncé à convaincre leurs compatriotes de l’inutilité de lutter contre les Français. Mais bien parce que nul ne pouvait croire que les troupes françaises étaient en état d’arrêter les estafettes ennemies alors qu’elles avaient le plus grand mal à assurer leurs propres communications, même en convois fortement armés.
Nous avons vu que les correspondances interceptées publiées par la Gaceta del gobierno pour le compte de la Junta Central pouvaient être d’une authenticité fort douteuse. Pour sa part, la Gaceta de la Regencia… insista à diverses reprises sur le fait que les originaux des textes publiés se trouvaient à la Secrétairerie d’État.144 De fait, une grande partie (ou la totalité) des correspondances interceptées communiquées à la Régence se trouve actuellement à Madrid, à l’Archivo Histórico Nacional, notamment dans les liasses 3003, 3065-3073 et très vraisemblablement dans d’autres dossiers que nous n’avons pas encore consultés. Le fait qu’elles figurent, sans classement chronologique, parmi d’autres documents ne rend pas la recherche aisée et nous sommes loin d’avoir repéré les originaux de toutes celles qui furent publiées, à Séville ou à Cadix. Ce fut cependant le cas pour certaines d’entre elles, et notamment l’une des plus importantes, celle qui parut dans la Gaceta de la Regencia de las Españas du 2 juin 1812. Conformément à ce qu’affirmaient les rédacteurs de ce journal, elle était bien de la main même de Joseph qui l’avait adressée, le 23 mars 1812, «à Monsieur mon frère Sa Majesté l’Empereur et Roi, à Paris»
selon la mention portée sur l’enveloppe.145
Comme le dit clairement la Gaceta de la Regencia de las Españas du 21 juillet la publication des lettres interceptées permettait de faire pièce aux affirmations mensongères que propageait la presse afrancesada.146 Elle rappelait aussi (et en particulier au gouvernement de Joseph et au roi intrus lui-même) que les courriers français étaient à tout moment à la merci des guérillas. La Gaceta de Madrid admit même cette réalité en présentant comme un exploit sans nom l’action du général Digeon qui, à Cordoue, au terme d’une expédition militaire, avait pu récupérer des «correspondances très intéressantes» en promettant la vie sauve aux «bandits» qui s’en étaient emparé et qu’il avait réussi à faire prisonniers.147 On en arriva même à considérer comme un exploit digne d’être annoncé dans la presse le fait qu’une missive de Soult soit bien parvenue à Joseph et si l’on n’alla pas jusqu’à publier la lettre non-interceptée, on fit paraître en revanche une proclamation qui l’accompagnait.148 Cette question devint si angoissante que la Gaceta de Madrid sombra tout bonnement dans le ridicule quand elle publia dans ses colonnes, en juin 1812 un article déjà paru dans la Gaceta de Guadalajara, et intitulé «¿A quién perjudica la intercepción de correos?» dans lequel on déclarait sur un ton puéril que les interceptions de courriers n’étaient ni justes ni normales car elles ne causaient de préjudice qu’aux particuliers et aux commerçants alors que les militaires trouvaient toujours le moyen de faire parvenir les informations qu’ils souhaitaient communiquer.149
L’interception de courriers ennemis ne fut pas la seule tâche de la guérilla qui affronta parfois les troupes françaises dans de véritables batailles. Mais ces missions d’harcèlement eurent une importance capitale pour l’issue du combat: non seulement elles créèrent d’énormes difficultés de communication aux Français, mais la publication régulière de lettres interceptées dans la presse officielle patriote permit de maintenir le moral des troupes et des civils du côté patriote tout en augmentant le désarroi parmi les Français et afrancesados et en mettant en lumière auprès des autorités anglaises un peu trop sûres de ne devoir la victoire qu’à ses propres troupes le rôle joué par les Espagnols dans la lutte contre Napoléon.
Carta interceptada rédigée par Pedro Estala et publiée dans la Gaceta de Madrid du mardi 12 janvier 1810 (n.º 23)
Se ha interceptado la siguiente carta:
«Villena 4 de enero de 1810. Mi estimado amigo: ¡Quanto debe vmd. extrañar recibir carta mia desde esta ciudad, que debía suponerme con mi regimiento en el exército de Cataluña! Le aseguro á vmd. que no hubiera abandonado mi puesto si las cosas hubieran ido como yo esperaba; pero no he podido aguantar mas; y desde la vergonzosa derrota de Teruel he tomado mi partido, y me he retirado de mi cuerpo con ánimo de no volver á ser el juguete de quatro pícaros ambiciosos.
Vmd. sabe que siempre he pensado con honor, y que si he seguido este partido, ha sido por creer que un militar no debe abandonar sus banderas. Pero, amigo, ya no estamos en este caso, porque si se ha de decir la verdad, no hai ya tales banderas; el valor no es sino temeridad, y el soldado no sirve ya á su patria, sino que se sacrifica á la ignorancia y á la ambicion de algunos, que en esto hallan su utilidad.
No necesito de estas disculpas para con vmd., que conoce tanto tiempo há mi modo de pensar, y yo me guardaria de decir esto mismo en el pais que acabo de dexar, y aun en el que ahora me hallo. Mi intencion fue al principio pasar a ésa, y entregarme á discrecion; porque me hallaba tan aburrido, que todo lo miraba como menos malo, que continuar entre esta gente. Pero despues he oido tales cosas acerca del trato que se da á los que se pasan, que no me he atrevido á hacerlo; y espero para determinarme la respuesta de vmd., quien me hablará con la franqueza de un amigo verdadero.
Si la respuesta de vmd. es favorable, y tenemos el gusto de vernos, ¡quántas cosas tengo que contar á vmd.! No, por mucho que digan los franceses, es imposible que puedan pintar como corresponde el desórden y anarquía que reina en estas provincias. Yo soi buen testigo; porque he tenido que atravesar gran parte del reino de Valencia para llegar á esta ciudad, como por fin lo he conseguido, hacíendo mil papeles, y forjando mil historias.
Crea vmd., amigo, que esto está mui malo, mui malo; y que si los franceses quieren, esta es la hora de concluirlo todo. Gerona, que estas gentes miraban como un escudo que cubria todas estas provincias, está ya en poder del enemigo. No puede vmd. figurarse la consternacion que esta noticia ha causado en todo el mundo. Todos dicen: ¿qué ciudad resistirá quando Gerona no ha podido resistir? Sin embargo, por hacer algo, y porque el pueblo no los arrastre por traidores, los militares fortifican á Tarragona, y han puesto baterías en Artafulla: lo mismo hacen en Lérida y Tortosa. Pero á buen tiempo. Ni ¿qué posicion tienen estas plazas para detener a un exército vencedor, que puede atacarlas por todas partes sin que haya nadie que se lo impida?
Pero lo que mas da á todos en que pensar es la dimision que Blake ha hecho del mando por tres veces. Este general sabe sin duda mas que los otros, que lo son de ayer acá, y como dicen, no quiere que el enfermo se le acabe de morir entre las manos. Lo mismo ha hecho Peña y aun Portago, y al fin el pobre Hinestrosa... á falta de hombres buenos &
He llegado á esta en el estado mas miserable que vmd. se puede imaginar; pues no habiéndome pagado mi sueldo, como no pagan á nadie, era imposible tener nada ahorrado para hacer el viage con comodidad. Aqui he encontrado un buen amigo que me ha equipado de lo mas preciso, y que me suministrará lo que necesite para llegar á esa en caso que pueda ir. Si hubiera pasado por Valencia, mi pobre hermana me hubiera seguramente socorrido; pero he tenido la canalla de aquella ciudad, y ahora, sobre todo, que en cada forastero ven un traidor, en tales términos, que dicen que el general ha mandado salir todos los que no son de Valencia. El entre tanto ya tiene sus equipages á bordo por lo que pueda tronar. La gente de las aldeas esta mas quieta, y todos piden á una voz que esto se acabe; pero el populacho de la ciudad cree que ha de ser ahora como la otra vez quando los franceses llegaron á las puertas, y no entraron porque no quisieron. Para que vmd. vea si estan locos, que dicen que han hecho una barbacana, que necesitan 500 hombres para defenderla; y no mas gracioso es que las lluvias del mes pasado han desmoronado un gran pedazo, como es de tierra, y los cañones han caido al suelo. Si esto hace el agua, ¿qué harán las balas de los franceses?
En fin, amigo mio, espero con impaciencia la respuesta de vmd. para salir de una vez de este laberinto, porque esto no es vivir, aunque este reino de Murcia está algo mas sosegado, y no creo que piensen en defenderse; y ¿cómo lo han de hacer si todas las tropas que han dado están unas en Francia y otras en Andalucía?
Le pido a vmd. de nuevo que me responda por la primera ocasion, y que me diga si podrá ir con seguridad á abrazarle, como lo desea su afectisimo amigo=Salvador Sanchez».
P. D. Escrita ya esta carta, hemos tenido aqui una grande alerta. Una persona de la Gineta ha llegado aqui corriendo, y diciendo que venian tras él los franceses. El pueblo se ha alborotado, y no sabia qué partido tomar. Al fin hemos sabido que no han pasado todavía de la Gineta, y no sabemos si por ahora se dirigirán hacia esta ciudad.
Madrid 28 aout 1810. Ma cherie amie, pont de tes lettres aujourd'hui, ma santé est bonne, ma position ici toujours pitoyable: je t'embrasse avec mes enfants.-A Sa Majesté la reine d'Espagne.-Le roi._A Paris.
Traduccion.-Madrid 28 de agosto de 1810. Mi querida amiga, no recibo hoy carta tuya, mi salud es buena, mi situacion aqui siempre miserable: te abrazo á ti y á mis hijos.-A S. M. la reyna de España.-Del rey.-En Paris.
Carta interceptada de José Bonaparte á su hermano Napoleon150
Madrid le 24 mars 1811.-Sire, ma santé delabrée en dix jours me force à quitter ce pays, pour chercher dans le sein de ma famille mon retablissement.
L'air moderé de Morfontaine et la tranquillité d'esprit me rendront peut-ètre ma premiere vigueur.
Ma presence est ici aujourd'hui complettement inutile; je me conformerai a Paris aux desirs de votre Majesté: et je la supplie de croire qu'en bonne ou en mauvaise santé, en bonne ou mauvaise fortune, votre Majesté n'aura jamais personne qui lui soit plus sincerement attaché; Roy ou sujet, je serai toujours de votre Majesté le meilleur ami, le plus fidele serviteur, et le plus affectioné frère, et je seaurai, comme votre Majesté le voudra, l'aimer tout-bas, et ne pas l'importuner de sentimens qu'elle nie, ou qu'elle repousse peut-ètre.
De votre Majesté l'ami et frère -Joseph-.
A Monsieur mon frère Sa Majesté l'Empereur et Roy.-Paris.-Le Roy d'Espagne.
Traduccion.
Madrid 24 de marzo de 1811.-Señor: Mi salud deteriorada en diez dias me obliga á dexar este pais, para procurar mi restablecimiento en el seno de mi familia.
El ayre moderado de Morfontaine y la tranquilidad de espíritu me restituirán quizá mi antigua robustez.
Mi presencia es aquí en el día completamente inútil; en Paris yo me conformaré con los deseos de V. M., á quien suplico crea que en buena ó mala salud, en buena ó mala fortuna, V. M. no tendrá jamas persona que le sea mas sinceramente afecta: Rey ó vasallo, siempre seré el mejor amigo, el mas fiel servidor y el mas emante hermano de V. M., y sabré en los términos que V. M. quiera, amarle en silencio sin importunarle con la expresion de los sentimientos que niega y que quizá desecha.
De V. M. amigo y hermano.-José.
A mi señor hermano S. M. el Emperador y Rey.-Paris.-Del Rey de España.151
Cartas interceptadas de José Bonaparte152
A monsieur mon frere Sa Majesté l'empereur et roi.-A Paris.-Le roi d'Espagne.
Madrid le 23 mars 1812.-Sire, lorsqu'il y a bientot un an, je demandai à Votre Majesté son avis sur mon retour en Espagne, elle m'engagea à y retourner, et j'y suis. Elle eut la bonté de me dire q'au pis aller je serai á temps de la quitter, si les esperances qu'on avoit conques ne se realisoint pas, que dans ce cas Votre Majesté m'assureroit un asile dans le midi de l'Empire où je pourrai partager ma vie avec Morfontaine.
Sire, les evenements ont trompé mes esperances, je n'ai fait aucun bien, et je n'ai pas l'espoir d'en faire: je prie donc Votre Majesté de me permettre de déposer entre les mains de Votre Majesté, les droits qu'elle daigna me transmettre sur la couronne d'Espagne, il y á quatre années: je n'ai jamais eu d'autre but en acceptant la couronne de ce pays, que le bonheur de cette vaste monarchie: il n'est pas dans mon pouvoir de le faire.
Je prie Votre Majesté de m'agréer au nombre de ses sujets et de croire qu'elle n'aura jamais de serviteur plus fidele que l'ami que la nature lui avoit donné.-De Votre Majesté imperiale et royale-Sire-l'affectioné frere-Joseph.
Traduccion.-A mi señor hermano, S. M. el emperador y rey.-El rey de España.-Paris.
Madrid 23 de marzo.-Señor: cuando pronto hará un año, pedí á V. M. su parecer acerca de mi vuelta á España, V. M. quiso que volviese, y en ella estoy. V. M. tuvo la bondad de decirme que en todo trance siempre estaba á tiempo de dexarla, si no se realizaban las esperanzas que se habian concebido, y que en este caso V. M. me aseguraria un asilo en el mediodia del imperio, donde yo podria repartir mi vida con Morfontaine.
Señor, los sucesos no han correspondido á mis esperanzas: no he hecho bien ninguno, ni tengo esperanza de hacerlo. Suplico, pues, á V. M. que me permita deponer en sus manos los derechos que se dignó transmitirme á la corona de España hace cuatro años. Nunca he tenido otro objeto en aceptar la corona de este pais que la felicidad de esta vasta monarquia: no está en mi mano el realizarla.
Pido a V. M. que me reciba benignamente en el número de sus súbditos, y que crea que nunca tendrá servidor mas fiel que el amigo que le había dado la naturaleza.-De V. M. imperial y real-Señor-afecto hermano-José.153
A Sa Majesté la reine d'Espagne.-Le roi.-A Paris.
Madrid le 23 mars 1812.-Ma cher amie, tu dois remettre la lettre que je t'envoi pour l'Empereur, si le decret de reunion a lieu, et s'il est publié dans les gazettes.-Dans tout autre cas tu attendras ma reponse.-Si le cas de la remise de ma lettre arrive, tu m'enveras par un corrier la reponse de l'empereur et les passeports.
Renvoie moi Remi, dont je suis assez en peine. Si on m'envoie des fonds, pourquoi tant tarder avec des convois, et ne pas se servir de l'estaffette pour m'envoier des traites du tresor public.-Je t'ambrasse avec mes enfants.-
Si tu sais que M. Mollien ne m'a pas envoié d'argent après les 500000 livres, que j'ai deja reçus pour janvier, lors que tu receveras cette lettre, remets à l'empereur ma renonciation; à l'impossible absolu nul n'est tenu: voici l'état de mon tresor.
A S. M. la reyna de España.-El rey.-Paris.
Madrid 23 de marzo de 1812 - Mi querida amiga: debes entregar la carta que te envio para el emperador, si se verifica el decreto de reunion y se publica en las gacetas.-En cualquier otro caso, aguardarás mi respuesta.-Si llega el caso de que entregues la carta, me enviarás por un correo la respuesta del emperador y los pasaportes.
Devuélveme á Remi, que me da bastante cuidado. Si se me envian fondos, ¿por que tardar tanto con los convoyes y no servirse de la estafeta para enviarme libramientos del tesoro público?-Te abrazo á tí y á mis hijos.-
P. D. Si sabes que Mr. Mollien no me ha enviado dinero despues de las 500000 libras que ya he recibido, correspondientes á enero, entrega al emperador mi renuncia. Nadie está obligado á lo que es absolutamente imposible. He aquí el estado de mi tesoro.
Madrid le 23 mars 1812.-Ma chere amie, Mr. Deslandes, qui te remettra cette lettre, te donnera tous les details que tu pourras desirer sur ma position: je vais t'en parler moi meme, afin que tu puisses la faire connaitre à l'empereur, et qu'il prenne un parti quelconque: tous me conviennent pour sortir de ma position actuelle.
1. Si l'empereur fait la guerre à la Russie, et qu'il me croie utile ici, je reste, avec le comandement general et l'administration generale.
S'il fait la guerre, et qu'il ne me donne pas le comandement, et ne me laisse pas l'administration du pays, je desire rentrer en France.
2. Si la guerre avec la Russie n'a pas lieu, et que l'empereur me donne le comandement, ou ne me le donne pas, je reste encore, tant que on n'exige rien de moi qui puisse faire croire que je consens au demembrement de la monarchie, et que l'on me laisse assez de troupes et de territoire, et que l'on m'envoie le million de prêt mensuel qui m'a été promis: j'attends dans cet etat tant que je puis, puisque je mets autant mon honneur à ne pas quitter l'Espagne trop legerment, que je le mets à la quitter dès que durant la guerre avec l'Angleterre on exigera de moi des sacrifices, que je ne puis et dois faire qu'à la paix generale, dans le but du bien de l'Espagne, de la France et de l'Europe. Un decret de réunion de l'Ebre qui m'arriveroit à l'improviste, me feroit partir le lendemain.
Si l'empereur ajourne ses projets à la paix, qu'il me donne les moyens d'exister pendent la guerre.
Si l'empereur incline à ce que je quitte ou à l'une des mesures qui me feroit quitter, il m'importe de rentrer en France en paix avec lui et avec son consentement sincere et entier. J'avoue que la raison me dicte ce parti, si conforme à la situation de ce malhereux pays, si je ne puis rien pour lui, si conforme à mes relations domestiques, qui ne m'ont pas donné d'enfant mâie & Dans ce cas je desire obtenir de l'empereur une terre dans la Toscane ou dans le midi à 300 lieues de Paris, ou je comptrai passer une partie de l'année et l'autre à Morfontaine. Les evenements et une position fausse comme celle ou je me trouve, si eloignée de la droiture et de la loyauté de mon caractaire ont beaucoup effaibli ma santé; l'age arrive aussi: il n'y a donc que l'honneur et le devoir qui puissent me retenir ici; mes gouts m'en chassent, à moins que l'empereur ne se prononce differement qu'il n'a fait jusqu'ici.-Je t'ambrasse avec mes enfants.
Madrid 23 de marzo de 1812.-Mi querida amiga: Mr. Deslandes, que te entregará esta carta, te referirá todas las particularidades que podrás desear acerca de mi situacion; voy á hablarte de ella yo mismo, para que puedas darla á conocer al emperador, y que él tome un partido, sea el que fuere: todos me acomodan para salir de mi situacion actual.
1.º Si el emperador tiene guerra con Rusia, y me cree útil aquí, me quedo, con el mundo general y la administracion general.
Si tiene guerra, y no me da el mando, y no me dexa la administracion del pais, deseo volver á Francia.
2.º Si no se verifica la guerra con Rusia, y el emperador me da el mando, ó no me lo da, tambien me quedo, mientras no se exija de mí cosa alguna que pueda hacer creer que consiento en el desmembramiento de la monarquia, y se me dexen bastantes tropas y territorio, y se me envie el millon de prestamo mensual que se me ha prometido. En este estado aguardaré mientras pueda, pues considero mi honor tan interesado en no dexar la España con sobrada ligereza, como en dexarla luego que durante la guerra con Inglaterra se exijan de mí sacrificios que no puedo ni debo hacer sino á la paz general, para el bien de España, de Francia y de Europa. Un decreto de reunion del Ebro, que me llegase de improviso, me haria ponerme en camino al dia siguiente.
Si el emperador difiere sus proyectos hacia la paz, que me dé los medios de existir durante la guerra.
Si el emperador se inclina á que me vaya ó á una de las medidas que me haria irme, me interesa volver á Francia en paz con él, y con su sincero y absoluto consentimiento. Confieso que la razon me dicta este partido, tan conforme á la situacion de este desgraciado pais, si nada puedo hacer por él, tan conforme á mis relaciones domésticas, que no me han dado un hijo varon &. En este caso, deseo que el emperador me dé una posesion en Toscana ó en el mediodia, á 300 leguas de Paris, donde yo contaria pasar una parte del año, y la otra en Morfontaine. Los sucesos y una posicion falsa, como la en que yo me encuentro, tan opuesta á la rectitud y lealtad de mi carácter, han debilitado mucho mi salud; voy tambien entrando en edad, y así solo el honor y el deber me pueden retener aquí; mis gustos me echan, á menos que el emperador no se explique de diferente manera que lo ha hecho hasta ahora.-Te abrazo á ti y á mis hijos.
Madrid le 27 mars 1812.-Ma chere amie, je reçois ta lettre du 29 fevrier. Je n'ai rien à ajouter à tout ce que Deslandes te dira, je n'ai rien changé à mes resolutions depuis son depart. Je t'ambrasse avec mes enfants; je suis legerement indisposé.-Ton...
Madrid 27 de marzo de 1812.-Mi querida amiga: he recibido tu carta de 29 de febrero. Nada tengo que añadir á lo que te dirá Deslandes: nada he mudado en mis determinaciones despues de su partida. Te abrazo á ti y á mis hijos: estoy un poco indispuesto.-Tu...154
A mon frere Louis.
Mon cher frere, j'ai reçu ta lettre du 25 octobre: je vois avec quelque satisfaction que ta santé s'ameliore; la mienne est bonne; mes affaires vont faiblement.-J'ai ici un officier qui est estimable par ses talens et les bons sentiments qu'il le conserve.
Ne doute jamais mon cher Louis, de ma tendre et inalterable amitié: je t'ambrasse de tout mon coeur et desire bien te revoir quelques jours bien portant et avec le bonheur que donne une bonne concience et l'affection de ses amis.-Ton afectioné frere-Joseph.-Madrid le 25 mars 1812.
A mi hermano Luis.
Mi amado hermano: he recibido tu carta de 25 de octubre, y veo con alguna satisfaccion que tu salud va á mejor; la mia es buena. Mis asuntos van no muy bien.-Aquí tengo un oficial, que es digno de aprecio por sus talentos y por la buena ley que le conserva.
No dudes jamás, mi amado Luis, de mi tierna é inalterable amistad: te abrazo de todo mi corazon, y deseo mucho volver á verte algun dia en buena salud y con la felicidad que da una buena conciencia y el afecto de sus amigos. Tu afecto hermano-José.-Madrid 25 de marzo de 1812.
A Sa Majesté la reine de Naples.-Paris.
Madrid le 20 mars 1812.-Ma chere Caroline; j'ai reçu avec bien du plaisir de tes nouvelles et de tes enfants. Je voudrai bien m'etre trouvé à Paris à ton arrivée; je fais bien des veux pour que vos affaires aillent mieux que les miennes: cependant ma santé est assez bonne, et je ne suis pas le plus à plaindre, puisque je sens encore bien du plaisir à te dire, ma chere seur, que je t'aime bien comme il y à 20 ans, et que je serai toute ma vie ton bon frere et ami-Joseph.
A S. M. la reyna de Nápoles. Paris.
Madrid 20 de marzo de 1812.-Mi querida Carolina: con mucho gusto he recibido noticias tuyas y de tus hijos. Bien quisiera haberme encontrado en Paris á tu llegada, y deseo mucho que vuestros asuntos vayan mejor que los mios: sin embargo, mi salud es bastante buena, y no soy el mas digno de lástima, puesto que todavía experimento mucho placer en decirte, mi querida hermana, que te amo lo mismo que ahora hace 20 años, y que toda mi vida seré tu buen hermano y amigo-José.
À Son Altesse Eminentissime Monseigneur le cardinal Fesch.-À Paris.
Madrid le 20 mars 1812.-Mon cher oncle, votre lettre m'a fait plaisir, et Deslandes qui a toute ma confiance vous dira quelle est ma position. Je vous ambrasse de tout mon oeur.-Votre afectioné-Joseph.
A S. A. Eminentísima, monseñor cardenal Fesch.-Paris.
Madrid 20 de marzo de 1812.-Mi querido tio: he recibido gusto con vuestra carta, y Deslandes, que es de toda mi confianza, os informará de mi situacion. Os abrazo de todo mi corazon-Vuestro afecto-José.