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Oar ur goadeg digenvez1

Jean Marie Barberà


Université de Provence



Le cinq centième anniversaire de l'édition princeps de Tirant le Blanc a donné lieu, en 1990, à toutes une série de manifestations: rencontres, tables rondes, colloques, études monographiques, etc. C'est dans ce cadre que le Professeur Albert Hauf, de l'Université de València, m'a demandé de participer à un numéro de la revue Afers (fulls de recerca i pensament) consacré à Tirant le Blanc. L'article qui suit est donc ma contribution, qui occupe les pages 301 à 312 du n° V, 10, Dossier Tirant lo Blanc, de cette revue (Catarroja, 1990). Je présente d'abord le texte original en français. La version catalane, qui n'est pas mienne, présentait quelques erreurs de traduction que j'ai corrigées ici.


Tirant le Blanc. Une histoire d'amour. Je ne veux point parler des sentiments du héros et de Carmésine, mais de l'éblouissement que celui qui rédige ces lignes éprouva en découvrant ce chef-d'œuvre, il y a maintenant quelques années, dans la collection 'Els Nostres Clàssics' de l'éditeur Barcino. Le roman faisait partie d'un Corpus dépouillé pour une thèse au thème quelque peu rébarbatif: Étude diachronique de quelques temps du passé en catalan, qui valut à leur auteur, outre quelques nuits blanches, le titre de docteur. Si la lecture des Homilies d'Organyà, du Libre de Evast e Blanquerna de Ramon Llull ou de Quaresma de Sant Vicent Ferrer, predicada a València l'any 1413, que nous avions aussi à dépouiller pour la période du Moyen Âge, n'est pas dénuée d'intérêt, tant s'en faut, celle du roman de Joanot Martorell et Martí Joan de Galba fut une révélation extraordinaire.

Une question s'imposa aussitôt: pourquoi et comment une œuvre de la fin du XVe siècle pouvait-elle émouvoir à ce point un homme de la fin du XXe siècle? Pris par d'autres tâches, je ne me suis pas attelé tout de suite à tenter de percer cette énigme. Mais ce n'est pas pour autant que je résistais à la puissante séduction du chef-d'œuvre. Un nouvel événement fortuit (mais peut-on vraiment parler d'événements fortuits?) devait entretenir, voire décupler, la flamme: j'eus la chance de découvrir les illustrations de Manuel Boix à travers une plaquette éditée par la Mairie de Gandia, puis de connaître personnellement le peintre-graveur (entre autres talents). Entrer dans le détail de ces rencontres pourrait lasser le lecteur, mais j'ajouterai toutefois que dès après il me fut permis, grâce à l'extrême obligeance de la Generalitat Valenciana, de présenter dans mon petit village de La Roque sur Cèze, haut lieu du tourisme européen, en 1985 et pour la première fois à l'étranger, l'exposition des gravures de Manuel Boix pour l'édition somptueuse des 'Edicions a la Tercera Branca'. New York n'aurait ce privilège que quelques années plus tard!

Mais sans doute le lecteur curieux voudra savoir d'abord comment j'en suis venu à m'intéresser au catalan. Je suis né en Algérie, alors qu'elle était encore française, d'une famille valencienne installée dans le département d'Oran depuis au moins trois générations. Il faut savoir qu'un groupe très important de catalanophones, du Royaume de Valence pour la plupart, avait émigré dans ce département, et que des générations après, le catalan, dans sa variante valencienne, était toujours parlé par les membres de cette communauté qui n'avaient pourtant plus retraversé la Méditerranée pour retourner sur la terre de leurs ancêtres. Comme on trouvait dans le creuset algérien beaucoup d'autres descendants d'Espagnols, le castillan était aussi très répandu; à tel point que dans leur Grammaire espagnole, à l'usage de l'enseignement secondaire, Duviols et Villégier pouvaient inclure à la longue liste des pays et autres lieux où l'on parle la langue de Cervantès, la “Côte nord-ouest de l'Afrique (Maroc et Département d'Oran)”. Il n'était donc pas rare de connaître le français, l'espagnol, le catalan et l'arabe, ce qui était le cas de mon père, homme simple, né dans la campagne algérienne. Moi-même, né en ville, n'ai pas eu l'occasion d'apprendre l'arabe. Ma mère, elle, était originaire de la Safor, née dans le petit village de Bellreguart, à deux pas de Gandia; et nous y allions souvent en vacances, pendant les mois d'été, dans la maison de ma grand-mère. Toute la famille s'exprimant en valencien, la langue obligée était donc le catalan. L'attrait qu'exerçait sur l'adolescent que j'étais cette langue était tel que je cherchais à m'y perfectionner. C'est ainsi que j'acquis à Valence la Gramàtica valenciana de Carles Salvador, le Vocabulari Valencià-Castellà de Francesc Ferrer Pastor, et différents livres qui me permirent de faire tout seul les premiers pas dans cet univers culturel maternel. Tout ceci gratuitement et par pur plaisir; et ce n'est que bien plus tard, à l'Université Paul Valéry de Montpellier, alors que je poursuivais des études pour devenir professeur d'espagnol, qu'à mon grand étonnement, ces connaissances me servirent. Et de fil en aiguille, je découvrais Tirant le Blanc.

Un autre élément surprenant, outre le fait que Tirant soit originaire de La Roca Salada, et que le nom occitan original du village que j'habite est La Ròca, est que, comme je l'ai dit, je suis lié du côté maternel à Gandia, patrie de Joanot Martorell. Voilà autant de signes cabalistiques qui semblaient me désigner! Qui sait même si quelque Carmésine obscure, et pour tout dire, fantomatique, n'a pas joué un rôle secret dans ma volonté d'offrir ce roman au public français. Quoi qu'il en soit, au début de l'année 1989, je traduisais quelques passages de Tirant le Blanc, je montais un dossier rappelant l'importance de l'œuvre et j'envoyais le tout aux éditions Gallimard, en leur proposant mes services. Je pensais que cela pouvait les intéresser pour la belle collection Futuropolis, qui présente de grands romans illustrés, comme Voyage au bout de la nuit de Céline, accompagné de dessins de Jacques Tardi. Au mois d'avril, je reçus une réponse du directeur littéraire de la Pléiade, Monsieur Jacques Cotin, m'exprimant son vif intérêt pour le livre de Martorell et Galba. Je devrais dire que j'en fus heureusement surpris, mais tout bien considéré j'étais tellement convaincu de la valeur Tirant le Blanc, qu'il me sembla normal que l'on veuille l'inclure dans cette prestigieuse collection.

La volonté éditoriale ne suffit pas. Elle doit s'appuyer sur un montage financier solide. Je fus donc chargé par les Éditions Gallimard de prospecter en Espagne pour savoir quelles aides nous pourrions obtenir pour mener à bien notre ambitieux projet. J'avais déjà eu des contacts encourageants avec la Generalitat Valenciana, et l'accueil que je reçus fut très chaleureux. C'est ainsi qu'après diverses démarches, l'éditeur français obtenait la garantie d'une subvention très appréciable du Gouvernement Valencien. Il faut ajouter que les rapports empreints d'amitié que j'avais établis avec les professeurs du Département de Catalan de l'Université de Valence ne furent sans doute pas étrangers au succès de l'entreprise, comme non plus, sans doute, les liens personnels avec quelques écrivains valenciens talentueux.

Mes démarches ne s'arrêtèrent pas là; le Ministère espagnol de la Culture aussi fut informé de notre intention, et là encore la réponse fut intéressée. La demande de subvention a dû être déposée par les services compétents de la maison d'édition à l'heure où j'écris ces lignes. D'un autre côté, Gallimard avait des contacts directs avec la Generalitat de Catalunya. Rien donc ne semble devoir s'opposer à la publication de Tirant le Blanc en français, dans les délais les plus brefs. La traduction stricto sensu devrait être terminée en 1992; peut-être avant si les dieux sont favorables, peut-être après si des difficultés inattendues venaient à surgir. Cette date est symboliquement importante, car elle marquera le cinq centième anniversaire de la découverte du Nouveau Monde; ce devrait être l'occasion pour les Européens rassemblés de redécouvrir dans leur propre maison toute la mosaïque des cultures trop longtemps oubliées, parfois bâillonnées et méprisées, dont ils sont les héritiers. Tirant le Blanc, pierre fondatrice et fondamentale du roman moderne, doit apparaître comme un phare.

Il faut cependant une certaine dose de folie au traducteur pour se lancer dans une telle entreprise avec les délais relativement courts que l'on a signalés, surtout quand on est obligé, comme je le suis, d'assurer un service d'enseignement pour gagner le pain quotidien (à moins qu'une bourse ne me sois accordée, ce qui serait l'idéal pour mon travail de traduction!). Pour tout dire, l'opportunité d'une nouvelle traduction pourrait être discutée: ce roman catalan n'a-t-il pas déjà été traduit en français au XVIIIe siècle, par le comte de Caylus? Cela est fort vrai; toutefois, outre que l'ouvrage n'a pas connu de réédition récente et est devenu introuvable, cette traduction ancienne présente deux graves défauts: elle n'a pas été faite d'après l'original catalan, mais sur une autre traduction, l'italienne de 1538, due à Lelio de Manfredi2. L'autre péché est qu'elle prend beaucoup de liberté avec le roman, dans lequel elle pratique des coupes sombres, réduisant certains chapitres, surtout initiaux, à quelques lignes rapides3. Mais comme d'autre part le style ne manque pas d'agrément, nous pouvons la qualifier de “belle infidèle”, selon l'expression consacrée. Il était donc urgent d'établir une traduction intégrale, plus fidèle au texte catalan, tout en essayant de rendre le plaisir que l'on a à lire l'original. Exercice périlleux s'il en est.

C'est donc une nouvelle aventure que de s'atteler à cette tâche. La passion, quand elle est maîtrisée et canalisée, vient à bout de beaucoup de difficultés. De la passion, nous en avons; de la détermination aussi. Au moment de retrousser les manches se pose le délicat problème du texte de base: l'édition établie par Martí de Riquer sur l'incunable de 1490 a fait ses preuves4; elle contient néanmoins quelques erreurs d'impression et quelques leçons pas toujours satisfaisantes. Comme l'édition princeps est connue, que les techniques modernes ont permis de l'offrir au grand public sous la forme abordable d'un fac-similé5 et que la lecture ne présente pas de difficulté majeure, malgré la ponctuation déroutante de la pré-Renaissance, les coquilles de l'édition, voire des inversions dans le texte, qui sont la cause de quelques obscurités, on peut s'y reporter utilement. Le texte proposé par Josep Palàcios6 vient aussi à la rescousse du traducteur en difficulté. On aura compris que le premier obstacle à franchir est l'établissement d'une base de travail sans reproche. Parfois, aucun texte connu n'apporte de solution satisfaisante7 et le traducteur est amené à se faire sa propre religion; ainsi, au chapitre 137, il est question d'un certain philosophe du nom de “Lexi” («aquell famós filòsof Lexi»), célèbre de surcroît («famós»), nous affirme Martorell, mais dont nous n'avons conservé aucune trace. Martí de Riquer note que ce que dit cet énigmatique amoureux de la sagesse est attribué à Tite-Live au chapitre 357. Josep Palàcios interprète lui aussi “Lexi” comme un nom propre. Or, si nous consultons l'incunable, nous remarquons que la majuscule n'existe pas, et qu'on peut lire “lexi” («aquell famos philosoph lexi»). Même si l'absence de majuscule n'est pas en soi suffisante, l'idée qu'il ne s'agit pas d'un nom propre mais d'un adjectif s'impose à nous; mais lequel? Sous cette forme, il ne signifie rien. Il faut donc admettre une coquille, voire plusieurs. Admettons d'abord qu'il s'agisse bien de Tite-Live, puisque le texte le dit expressément ailleurs et considérons plusieurs phénomènes graphiques et de phonétique catalane: à l'initiale, le “l” simple peut valoir pour “ll” palatal (ainsi, dans le même chapitre, “liberta” pour “lliberta”, “lançada” pour “llançada”, etc.); bien que cela soit rare, on peut trouver “e” pour “a”, par confusion de la voyelle atone, ce qui supposerait que c'est le “i” final qui porte l'accent. Nous arrivons ainsi à “*llaxí”, qui ne signifie rien encore. Mais si l'on veut bien considérer que le “x”, quand on lui ôte son pied gauche, est près de “t”, surtout dans le texte original, et que le typographe s'est trompé, nous obtenons l'adjectif “llatí”, c'est-à-dire “latin”, ce qu'était effectivement Tite-Live. La traduction française sera donc «ce célèbre philosophe latin». On jugera que c'est un détail, et que cela ne change rien à l'économie générale du roman; nous l'accordons volontiers; mais si nous pouvons apporter notre pierre à l'établissement du texte, pourquoi continuerions-nous à transmettre des obscurités? Enfin, j'attendais avec impatience l'édition critique qui faisait défaut; l'équipe du professeur Albert Hauf, de l'Université de Valence vient de combler ce vide. Mais Hauf craint, avec trop de modestie sans doute, que pressé par l'éditeur, il n'ait donné une édition plus criticable que critique.

Traduire sans connaître l'époque, ses mœurs, sa mentalité, peut conduire à de graves contresens; le traducteur doit donc s'informer le mieux possible de l'atmosphère dans laquelle baignait l'auteur. Dans mon cas, cela sera d'autant plus utile que les titres publiés dans la Pléiade sont précédés d'une présentation et accompagnés de notes et de nodules explicatifs. Aussi, ai-je été, suis-je et serai-je amené à recueillir et à lire nombre d'ouvrages, d'études et d'articles consacrés soit directement à Tirant le Blanc, soit à son temps -ce travail servira également à une nouvelle thèse dont le sujet est l'univers poétique et l'écriture de ce roman-. Pour prendre un exemple, L'arnès del cavaller de Martí de Riquer est une mine de renseignements sur les armes et les armures catalanes médiévales. Sa connaissance facilite considérablement la compréhension des passages guerriers. Autre exemple: au chapitre 3 nous avons une curieuse expression: «e les orelles dels llegints la mia dolor tal senyal facen,», où l'on se demande quel rôle jouent exactement les oreilles des lecteurs; savoir qu'au Moyen Âge il n'était de bonne lecture qu'à voix haute ou à mi-voix, et que ce n'est que peu à peu que la lecture silencieuse l'emportera, peut être de quelque secours8. C'est donc franchement que je traduirai «Que les lecteurs qui entendront ma douleur fassent de même;», non sans introduire une note explicative. Rien n'est inutile, et s'instruire de la façon dont on mangeait au XVe peut éclairer certains aspects du texte.

Ceci précisé, commence la traduction proprement dite. Les problèmes théoriques que pose cet exercice sont bien connus. Traduire sans trahir, voilà quel a toujours été le souci du traducteur scrupuleux. Charles Fontaine, dans sa traduction des Remèdes d'amour d'Ovide (1555), disait qu'il y a «trois choses que doit observer un qui veult bien traduire:

«La première, c'est qu'il retienne et rende les termes et diction de l'autheur, autant pres qu'il est possible: ce que l'on peut appeler la robbe.

»La seconde, qu'il rende aussi le sens partout entier (car il ne fault estre tant curieux des termes que de laisser le fonds ou de le rendre obscur): ce que l'on peult appeller le corps.

»La tierce, c'est qu'il rende et exprime aussi naifvement la naturelle grace, vertu, energie, la doulceur, elegance, dignité, force et vivacité de son auteur qu'il veult traduire: ce que l'on peult appeller l'âme de l'oraison.»

Ajoutant: «Mais bien peu de ceux qui traduisent adviennent eureusement à ces trois pointz, pour la grant difficulté. Pour quoy la plus grant part des sages et experts translateurs sont plus soigneux a rendre le sens et la grace que les mots: de l'advis et du nombre desquelz j'ay esté, je suis et vueil estre.»9.

L'essentiel est dit. Et bien dit. L'exercice va donc consister à rendre le sens et la beauté du texte, en s'éloignant le moins possible de la lettre, mais sans en être esclave. Maurice Pergnier, dans un article récent10, résume assez bien toutes les difficultés de l'entreprise: «Il est clair que de nombreux textes résistent à la traduction totale et que de nombreuses traductions -notamment de textes littéraires-, sans pécher nécessairement par inexactitude, restent insatisfaisantes parce qu'elles ne parviennent à restituer qu'une partie de ce qui constitue la chair vive de l'original.». Il continue plus loin en traitant de “la lettre” et de “l'esprit”: «On confond bien souvent le respect des textes avec le respect des mots, et ces derniers ont servi souvent de prétexte à une vénération peureuse des oripeaux de la pensée, de crainte que la pensée elle-même ne s'évade ou ne s'avère incontrôlable ou impertinente. Tout milite pour laisser penser que le respect des mots (ou si l'on préfère le respect de la lettre) trahit bien plus souvent le sens (ou si l'on préfère l'esprit) qu'il ne le sert. La voie étroite de la traduction se situe entre les deux extrêmes que sont, d'une part l'adaptation sans scrupule, qui substitue au texte original une création plus ou moins personnelle du traducteur, et d'autre part la servilité, volontaire ou inconsciente, aux structures de la langue de départ qui, dans les cas les plus extrêmes, aboutit au galimatias (dont un exemple récent nous est offert par la Bible de Chouraqui). Quelles que soient les stratégies adoptées par le traducteur (plus ou moins grande littéralité, ou plus ou moins grande liberté de formulation -ces choix étant dictés par la finalité de la traduction et la nature du texte) ses choix sont toujours guidés par le souci du respect du sens dans toutes ses composantes, non par le respect de la lettre. Si les circonstances lui permettent de servir la lettre par-dessus le marché, comme cela arrive quelquefois, c'est tant mieux, mais ce n'est que par l'effet d'un heureux surcroît de grâce.» Nous voilà donc avertis. Primauté à l'esprit donc; à l'esprit et au plaisir de la lecture.

Tout de suite surgit une évidence: les écrivains de l'Europe du Moyen Âge, et même de la Renaissance, n'avaient pas la même approche que nous de la chose écrite; le goût évolue, et la technique littéraire aussi, agissant l'un sur l'autre dans un incessant va-et-vient. Je prendrai une exemple: celui de la répétition. Elle devient vite insupportable à un lecteur moderne. Dans les arts poétiques du Moyen Âge11, c'est une figure poétique importante, qui peut même prendre des formes subtiles, comme l'annominatio, qui consiste à reproduire à peu près le même mot en n'y changeant qu'une ou deux lettres. On place dans cette catégorie toute la série des expressions où un verbe est uni à un substantif de même racine12. Encore au XVIe siècle13, le procédé sera prisé. Ainsi, pour Ronsard, à l'instar de Martorell et Galba, ce qu'il appelle la langue “numéreuse” est une qualité: plus les répétitions seront fréquentes, plus le résultat sera jugé harmonieux. Ceci ne correspond plus à notre sentiment de la belle écriture. Doit-on, dès lors, chaque fois que l'on rencontre les mots “virtut”, “virtuós”, “virtuosament”, les traduire invariablement par “vertu”, “vertueux”, “vertueusement”? Il semble préférable, dès lors que cela est possible, de le rendre par le sens, variable, qu'il avait au XVe siècle. Un chevalier vertueux, ce n'est pas pareil qu'une dame vertueuse, ni même qu'un roi vertueux: chacun doit correspondre à un parangon de vertu différent. Ainsi, pour le chevalier, être vertueux c'est faire preuve de force et de courage, de puissance physique ou morale; s'agissant d'une femme, on entendra surtout chasteté (mais pas seulement); pour un roi, il s'agira de bonté, de largesse, etc. C'est à la lumière du contexte que l'on pourra déterminer le sens à privilégier. Ainsi, l'on peut éviter toutes ces répétitions qui pour un lecteur moderne peuvent devenir lassantes. On pourrait dire la même chose du mot “noble” et de ses dérivés. Et d'autres vocables. Il faudra donc éviter de reproduire servilement ce qui ne correspond plus à nos canons d'esthétique littéraire. Cependant, quand cela devient un jeu de mots, le traducteur devra essayer de le rendre; il en est un célèbre, que l'on trouve déjà dans le roman de Tristan de Béroul (entre 1150 et 1190), entre l'amer (infinitif du verbe «aimer»), la mer (la mer) et l'amer (l'amertume): (2205) Je suis roïne, mais le non (2206) En ai perdu par la poison (2207) Que nos beümes en la mer. [soit: Je suis reine mais j'ai perdu ce titre à cause du breuvage que nous avons bu sur la mer.)14, repris par Chrétien de Troie dans son Cligès (v. 545 et suivants). Nous le retrouvons dans un chapitre-clé de Tirant le Blanc, le 118, lorsque Tirant voit la Princesse pour la première fois et en tombe éperdument amoureux. Diaphébus lui demande quel est son mal; et Tirant lui répond: «e jo no tinc altre mal sinó de l'aire de la mar qui m'ha tot comprès.» Si le jeu de mots était encore possible en moyen français, il l'est difficilement en français moderne: l'aire de la mar (= le vent de la mer)/ l'aire de l'amar (= le souffle de l'aimer, soit de l'amour). Peut-être le traducteur pourrait-il alors risquer un autre jeu de mot sur lames (= flot)/ l'âme: considérez que je ne souffre que du mal de lames, car les flots m'ont oppressé. Mais il s'éloigne ce faisant d'une longue tradition. Toute traduction contraint parfois à des choix déchirants.

Le pléonasme non plus n'est pas rare, espèce de répétition du sens, comme pujar alt [“monter en haut”]15 ou eixir (de)fora [“sortir dehors”]16, que le traducteur évitera soigneusement. Mais c'est là l'enfance de l'art, et il ne faut pas lasser le lecteur.

Bref, nous redirons que le souci qui doit guider le traducteur est donc bien de rendre tout le sens et toutes les beautés de son texte, en s'éloignant le moins possible de la lettre. C'est affaire de jugement et de sensibilité. Ronsard, dans son Abrégé de l'art poétique français, affirme, suivant en cela Quintilien, que le bon sens est la source même du bon style. S'il faut rendre l'harmonie du chef-d'œuvre, l'oreille absolue est une nécessité elle-même absolue. C'est-à-dire qu'après avoir évité tous les pièges du sens, ou si l'on veut de l'objectivité, nous plongeons dans la subjectivité, dans cette finesse qui fait que l'art ne se résumera jamais à des recettes ou à des trucs, et que telle œuvre parfaite selon les règles n'émouvra pas le lecteur, alors que telle autre, bancale pour ce qui est des préceptes, sera un pur chef-d'œuvre. Le traducteur se devra donc d'être à la hauteur de celui qu'il traduit, afin qu'on ne puisse l'accuser, comme cela est si souvent le cas, de trahison.

Peut-être n'aurais-je point satisfait entièrement ta curiosité, lecteur insatiable. J'aurais voulu te dire bien plus et te faire participer davantage au labeur solitaire, mais exaltant, de la traduction en train de se faire. Sache toutefois que pour rédiger ces quelques lignes j'ai dû interrompre mon travail, et que sitôt le point final écrit, je le reprendrai dare-dare. Sache que je ne connais nul repos, que Tirant est tyrannique, que je doute parfois, mais que l'amour sera le plus fort. Comme dans toutes les histoires d'amour (enfin, presque!).






Appendice

«Ne pouvant se soustraire aux prières des membres du conseil, le Roi ermite accepta le royaume et la bataille; alors il demanda sans attendre qu'on lui apportât des armes à sa taille. On lui en proposa beaucoup, mais de toutes celles qu'on lui présenta, il n'y en eut aucunes qui fussent à son goût.

-Sur ma foi, s'exclama le Roi ermite, ce n'est pas ça qui empêchera la bataille, dussè-je y aller en chemise. Je vous saurais gré, mes seigneurs, poursuivit-il, de bien vouloir aller chez la Comtesse; priez-la instamment, sur sa grande vertu, d'avoir la bonté de me prêter les armes de son mari, Guillaume de Warwick, celles avec lesquelles il avait l'habitude de combattre.

Lorsque la Comtesse vit venir tant de ducs, de comtes, de marquis, et tout le conseil du Roi, et qu'elle sut pourquoi ils étaient là, elle leur répondit qu'elle y consentait avec plaisir. Elle leur donna des armes qui ne valaient pas grand chose. En les voyant, le Roi s'étonna:

-Ce ne sont pas celles que j'attends; il y en a d'autres qui sont bien meilleures.

Les barons se rendirent donc à nouveau auprès de la Comtesse, et ils lui demandèrent les autres armes. La Comtesse leur répondit qu'il n'y en avait pas d'autres. Quand on lui eut rapporté la réponse, le Roi dit:

-Mes seigneurs et frères, allons-y tous ensemble à l'instant; nous tenterons notre chance.

Arrivés devant la Comtesse, le Roi prit la parole:

-Madame la Comtesse, j'en appelle à votre grande bonté et à votre noblesse; ayez l'obligeance, je vous prie, de me prêter les armes qui appartenaient à votre mari, Guillaume de Warwick.

-Sire, répondit la Comtesse, je jure sur la tête de mon fils, qui est mon seul bien sur cette terre, que je vous les ai déjà fait remettre.

-Cela est vrai, reprit le Roi, mais ce ne sont pas celles que je demande; prêtez-moi celles qui se trouvent dans la petite pièce attenante à votre chambre, et qui sont recouvertes d'une toile de damas vert et blanc.

Alors, la Comtesse tomba à genoux et implora:

-Sire, de grâce, je supplie votre altesse de me dire qui elle est, et comment vous connaissiez mon seigneur, le comte Guillaume de Warwick!

Chapitre XVIII

DE LA REPONSE QUE LE ROI ERMITE FIT A LA COMTESSE DE WARWICK QUAND ELLE LE SUPPLIA D'AVOIR LA BONTE DE LUI DIRE SON NOM ET QUELLE AMITIE L'AVAIT LIE A SON MARI, LE COMTE GUILLAUME DE WARWICK, ET CE QU'IL LUI REPONDIT, LUI RACONTANT LES BATAILLES DE LA VILLE DE ROUEN, ET LUI RAPPORTANT SES ACTIONS.

-Comtesse, commença le Roi ermite, je ne le puis: ce n'est ni le temps ni l'heure de vous déclarer mon nom, car je dois porter tous mes soins à d'autres affaires plus nécessaires et plus utiles pour tous; c'est pourquoi je vous prie de bien vouloir me prêter les armes que je vous ai demandées, ce dont je ne saurais trop vous remercier.

-Sire, répondit la Comtesse, vous m'en voyez ravie: c'est bien volontiers que je les prête à votre altesse; mais si Dieu vous donne une belle victoire sur le roi maure, faites-moi la grâce, puisque je ne puis connaître votre nom, de me dire au moins comment vous connaissiez mon mari, et quelle amitié vous liait à lui.

Le Roi poursuivit:

-Madame, vous insistez tant et tant pour que je vous le dise que je suis heureux de céder à votre grand mérite. Vous n'êtes pas sans vous souvenir de cette grande bataille que votre mari remporta sur le roi de France dans la ville de Rouen. Votre époux était grand capitaine de la ville lorsque le roi de France arriva avec soixante mille combattants, à pied et à cheval. Votre mari, Guillaume de Warwick, sortit alors avec peu de gens de la ville et laissa les portes fort bien garnies. Au bout du pont il y eut un beau fait d'armes, au cours duquel moururent plus de cinq mille Français, qui tombèrent sur le pont ou sur la rive. Puis votre mari se retira vers la ville, et tous les Picards franchirent un passage, et crurent qu'ils allaient prendre la cité, sans compter avec Guillaume de Warwick, qui se campa à la porte. Le Roi, qui arriva avec toute son armée, engagea un si violent combat que votre mari dut se retirer dans la ville, où beaucoup de Français le suivirent. Ceux qui gardaient les tours de la porte laissèrent tomber le panneau coulissant en voyant qu'il était entré assez de Français, et le Roi resta dehors. Après avoir taillé en pièces ces assaillants, et les avoir jetés dans les fers, votre mari, le Comte, vit que le roi de France attaquait violemment pour prendre la ville d'assaut. Il sortit par une autre porte et se précipita avec ardeur là où se trouvait le prince français. Les hommes de la cité sortirent aussi, et le Roi reçut deux blessures; en outre, son cheval fut tué. Un sien chevalier, voyant que le Roi était gravement atteint et qu'il avait perdu sa monture, mit pied à terre et fit monter le Roi. Celui-ci n'eut d'autre choix que d'abandonner le terrain, de sorte qu'il perdit la bataille. Comtesse, vous avez souvenance que, peu après, votre époux revint dans ce royaume sur l'ordre de messire le Roi, et qu'il fut reçu par celui-ci et par tous les habitants du royaume avec de grands honneurs: on démolit pour lui un pan de mur, car on n'admit point qu'il entrât par une porte; le Comte allait dans un char paré de draps de brocart, et les chevaux qui le tiraient étaient habillés de soie; le vainqueur était seul dans le char, armé tout de blanc, l'épée nue à la main. Lui et ses hommes vinrent ensuite dans votre ville de Warwick, où ils s'arrêtèrent quelques jours; moi, qui dans les guerres était son frère d'armes, je lui tins fidèlement compagnie. La Comtesse ne fut pas longue à prendre la parole.

Chapitre XIX

CE QUE REPOND LA COMTESSE AU ROI ERMITE QUI LUI DEMANDAIT COMME UNE FAVEUR QU'ELLE LUI PRÊTÂT LES ARMES DE SON MARI, LE COMTE GUILLAUME DE WARWICK; ET COMMENT IL DISPOSA LA BATAILLE POUR ENTRER EN CHAMP CLOS AVEC LE ROI MAURE, SUR LEQUEL IL REMPORTA UNE GLORIEUSE VICTOIRE.

-Quelle joie, quel bonheur ineffable, sire!; je m'en souviens: tout ce que votre seigneurie m'a dit est vrai. Me voilà consolée en entendant le récit des actions sans pareilles de mon valeureux mari et seigneur, que j'aimais tant et que j'avais en très haute estime, car il était digne d'une glorieuse réputation et il méritait la couronne royale pour ses insignes vertus. Mais la fortune a été impitoyable avec moi; elle me fait vivre dans la douleur, puisqu'elle l'a ôté de ma vue. Depuis qu'il m'a quittée, j'ignore ce que sont de bons jours, et encore moins de bonnes nuits: tout cela fait que chaque jour m'est une souffrance. Mais je ne veux plus parler de cela pour ne pas ennuyer votre altesse; je vous demande seulement, comme une faveur, de bien vouloir me pardonner de ne pas avoir fait pour votre altesse tout ce que j'aurais pu, au temps de votre vie érémitique. Si j'avais su les liens fraternels qui vous avaient lié à mon seigneur Guillaume de Warwick, je vous aurais rendu bien plus d'honneur, et je vous aurais donné de mes biens plus que je ne l'ai fait.

Le Roi se réjouit fort des paroles de la bonne Comtesse.

-Quand il n'y a pas de faute, point n'est besoin de demander pardon. Vos vertus sont si nombreuses qu'on ne pourrait les dire toutes, et moi-même il me serait impossible de vous remercier pour les bienfaits dont je vous suis redevable. Je vous prie seulement, par votre grande vertu et votre noblesse, de bien vouloir me prêter les armes que je vous ai demandées.

Alors la Comtesse lui fit apporter d'autres armes, qui étaient recouvertes de brocart bleu. En les voyant, le Roi s'exclama:

-Madame la Comtesse, vous gardez bien les armes de votre mari! Ces seigneurs et moi avons eu beau vous prier, vous n'avez pas voulu nous les prêter. Ce sont là les armes avec lesquelles Guillaume de Warwick tournoyait; celles que je demande sont suspendues dans votre réduit et sont couvertes d'un damas blanc et vert, avec un lion d'or couronné; ce sont, je le sais, les armes avec lesquelles il entrait dans les plus féroces batailles. Si cela ne vous fâchait pas, Comtesse, je rentrerais dans le cabinet, et je crois bien que je les trouverais.

-Hélas, pauvre de moi!, gémit la Comtesse. Il semble que vous ayez passé toute votre vie dans cette maison! Votre seigneurie peut entrer sans hésiter, regarder et prendre tout ce qui lui paraîtra bon.

Voyant sa bonne volonté, le Roi la remercia; ils entrèrent tous dans le réduit, où ils virent les armes suspendues. Le Roi se les fit donner et les fit remettre en parfait état.»

Ceci devient dans la traduction du XVIIIe siècle17:

«Il ne se trouva point d'armes qui pussent convenir à l'Hermite dans toute la Ville; il fallut avoir recours à celles qu'il avoit laissées à la Comtesse de Varvich en partant pour Jérusalem, & dont il indiqua la forme & les couleurs.»

Pas un mot de plus!18




Oar ur goadeg digenvez19

Jean Marie Barberà



Université de Provence.

The author20, whose translation of Tirant lo Blanc into French will come soon in the prestigious collection of «La Pléiade», does reflection on the problems he has faced to translate into French this Valencian work, written in Catalan at the end of the 15th century. He has made considerable effort not to betray the original version.

Tirant lo Blanc. Una història d'amor. No vull parlar de cap manera dels sentiments de l'heroi i de Carmesina, sinó de l'enlluernament que experimentà qui redacta aquestes línies en descobrir aquesta obra mestra, ja fa alguns anys, dins la col·lecció Els Nostres Clàssics de l'editorial Barcino. La novel·la formava part d'un corpus desenvolupat per una tesi de tema un tant aspre: Étude diachronique de quelques temps du passé en catalan, la qual valgué al seu autor, a més d'algunes nits passades en blanc, el títol de doctor. Si la lectura de les Homilies d'Organyà, del Libre d'Evast e Blanquerna de Ramon Llull o de Quaresma de Sant Vicent Ferrer, predicada a València l'any 1413, que també havíem analitzat curosament per l'estudi del període de l'Edat Mitjana, no està exempta d'interès, ni molt menys, la lectura d'aquesta novel·la de Joanot Martorell i Martí Joan de Galba fou una revelació extraordinària.

Una questió que s'imposa immediatament: ¿per què i com, una obra de la fi del segle XV podia agitar fins aquest punt un home de la fi del segle XX? Pres per altres tasques, no em vaig dedicar de seguida a intentar descobrir aquest enigma. Tanmateix, no per això em resistia a la poderosa seducció d'aquesta obra mestra. Un altre esdeveniment fortuït (¿hom pot, però, veritablement, parlar d'esdeveniments fortuïts?) havia d'entretenir, fins i tot decuplicar, la flama: vaig tenir la fortuna de descobrir les il·lustracions de Manuel Boix a través d'uns llibret editat per l'Ajuntament de Gandia, i després de conèixer personalment el pintorgravador (entre d'altres talents). Entrar detalladament en aquests encontres podria fatigar el lector; tanmateix, afegiria que immediatament després em va ser permès, gràcies a l'extrema cortesia de la Generalitat Valenciana, presentar, l'any 1985, a la meua petita vila de La Roque sur Cèze -gran lloc del turisme europeu- l'exposició de gravats de Manuel Boix per a l'edició sumptuosa de les Edicions a la Tercera Branca, i això per primera vegada a l'estranger. ¡New York hauria de tenir aquest privilegi només alguns anys més tard!

Probablement, el lector curiós voldrà saber primerament com he vingut a interessar-me pel català. Sóc nascut a l'Algèria, quan aquella encara era francesa, d'una família valenciana instal·lada al departament d'Orà des d'almenys tres generacions. Cal dir que un grup molt important de catalano-parlants, la major part del País Valencià, havia emigrat a aquest departament, i que generacions després, el català, en la seua variant valenciana, encara el parlaven els membres d'aquesta comunitat, els quals no havien mai travessat novament la Mediterrània per tornar a la terra dels seus avantpassats. Com es trobaven dins el cresol algerià molts altres descendents d'espanyols, el castellà estava també molt estès; fins al punt que a la seua Grammaire espagnole, Duviols i Villégier podien incloure a la llarga llista de països i altres llocs on es parla la llengua de Cervantes, la «Côte nord-ouest de l'Afrique (Maroc et Département d'Oran)». No era, doncs, rar conèixer el francès, l'espanyol, el català i l'àrab; aquest va ser el cas del meu pare, home senzill, nat al camp algerià. Jo mateix, nascut a la capital, no he tingut l'ocasió d'aprendre l'àrab. La meua mare era originària de la Safor, nascuda dins la petita població de Bellreguard, a dos passos de Gandia. Anàvem sovint en vacances, durant els mesos de l'estiu, a la casa de la meua àvia. Tota la família s'expressava en valencià, la llengua obligada era, doncs, el català. Aleshores, jo era un xicot, i l'atracció que exercia sobre mi aquesta llengua era tan forta que buscava perfeccionar-me en ella. Va ser així que vaig comprar a València la Gramàtica valenciana de Carles Salvador, el Vocabulari Valencià-Castellà de Francesc Ferrer Pastor i altres llibres que em varen permetre de fer, tot sol, els primers passos dins aquest univers cultural genuí. Tot açò gratuitament i pel més pur plaer. Va ser molt més tard, a la Universitat Paul Valéry de Montpeller, quan prosseguia els estudis per esdevenir professor d'espanyol, quan, amb gran sorpresa meua, aquests coneixements em varen servir. I estirant del fil, vaig descobrir Tirant lo Blanc.

Un altre element sorprenent, a més del fet que Tirant fóra originari de La Roca Salada, i que el nom occità original de la població on visc és La Ròca, és que, com ja ho he dit, estic unit de part materna a Gandia, pàtria de Joanot Martorell.

¡Aquests eren excessius signes cabalístics que semblaven designar-me! Qui sap si també alguna Carmesina obscura, i per dir-ho així, fantasmagòrica, no ha jugat un paper secret en la meua voluntat d'oferir aquesta novel·la al públic francès. Fos el que fos, a principis de l'any 1989, vaig traduir alguns passatges del Tirant lo Blanc, vaig muntar un dossier remarcant la importància de l'obra i vaig enviar el conjunt a les edicions Gallimard, proposant-los els meus serveis. Pensava que aquesta novel·la podia interessar-los per a la bella col·lecció Futuropolis, la qual presenta grans novel·les il·lustrades, com el Voyage al bout de la nuit de Céline, acompanyada d'il·lustracions de Jacques Tardi. Pel mes d'abril, vaig rebre una resposta del director literari de la Pléiade, el senyor Jacques Cotin, el qual m'expressava el seu viu interès pel llibre de Martorell i Galba. Hauria de dir que vaig ser feliçment sorprès, però, considerant-ho bé estava realment convençut del valor del Tirant lo Blanc, i em semblà normal que hom volgués incloure'l en aquesta prestigiosa col·lecció.

La voluntat editorial no és suficient. Ha de tenir el suport d'un muntatge financer sòlid. Vaig ser l'encarregat per les edicions Gallimard de fer indagacions a Espanya per saber quines ajudes podríem obtenir per portar a cap el nostre ambiciós projecte. Tenia ja contactes encoratjadors amb la Generalitat Valenciana, i l'acollida que vaig rebre va ser molt calorosa. Va ser així que després de diverses passes, l'editor francès obtingué la garantia d'una subvenció molt estimable del Govern valencià. Cal afegir que les relacions amistoses que havia establert amb els professors del Departament de Català de la Universitat de València no foren, sens dubte, estranyes a l'èxit de l'empresa, com tampoc ho varen ser els vincles personals amb alguns escriptors valencians talentosos.

Les meues gestions no s'aturaren ací; el Ministeri espanyol de Cultura també va ser informat de la nostra intenció, i la seua resposta va ser igualment interessada. La sol·licitud de subvenció haurà estat dipositada pels serveis competents de la casa editorial, a l'hora d'escriure aquestes línies. D'altra banda, Gallimard tenia contactes directes amb la Generalitat de Catalunya. Res sembla oposar-se, doncs, a la publicació de Tirant lo Blanc en francès, en el termini més breu. La traducció stricto sensu haurà d'estar acabada el 1992; potser abans si els déus ens són favorables, potser després, si sorgeixen dificultats inesperades. Aquesta data és simbòlicament important, car marcarà el cinc-cents aniversari de la descoberta del Nou Món. Aquesta hauria de ser l'ocasió, per als europeus reunits, de redescobrir a la seua pròpia casa tot el mosaic de cultures massa temps oblidades, emmordassades i menyspreades, de les quals són els hereus. Tirant lo Blanc, pedra fundadora i fonamental de la novel·la moderna, ha d'aparèixer com un far.

Al traductor, li cal, tanmateix, una certa dosi de follia per llançar-se a tal empresa amb els terminis relativament curts que hom ha assenyalat, sobretot quan s'està obligat, com ho estic jo, d'assegurar un servei d'ensenyament per guanyar el pa quotidià (a menys que una beca no em siga concedida, que seria l'ideal pel meu treball!). Segurament, l'oportunitat d'una nova traducció podria ser discutida car, aquesta novel·la catalana, ¿no va ser ja traduïda al francès pel comte de Caylus al segle XVIII? Això és ben cert; emperò, a més que l'obra no ha conegut cap reedició recent i ha esdevingut introbable, aquesta traducció antiga presenta dos defectes greus: no ha estat feta des de l'original català, sinó sobre una altra traducció, la italiana de 1538, de Lelio de Manfredi21. L'altre pecat és que es pren molta llibertat amb la novel·la, en la qual practica talls grandíssims, reduint alguns capítols, sobretot els inicials, a algunes línies ràpides22. Però, com d'altra banda, l'estil no es troba mancat d'encant, podem qualificar-la de «bella infidel», segons l'expressió consagrada. Calia, doncs, establir urgentment una traducció integral més fidel al text català, tot tractant de proporcionar el plaer que es troba en llegir l'original. Exercici perillós entre tots. És, doncs, una nova aventura enganxar-se a aquesta tasca. La passió, quan és dominada i canalitzada, venç moltes dificultats. De passió, en tenim; de determinació, també. Al moment d'arregussar-se les mànigues, s'hi posa el delicat problema del text de base; l'edició establerta per Martí de Riquer sobre l'incunable de 1490 ha servit de model23, tot i que conté alguns errors d'impressió i algunes lliçons no del tot satisfactòries. L'edició prínceps és coneguda i les tècniques modernes han permès d'oferir-la al gran públic sota la forma accessible d'un facsímil24; la seua lectura no presenta major dificultat, malgrat la puntuació desconcertant del pre-Renaixement, les errades de l'edició, i fins i tot, les inversions en el text, que són causa d'algunes foscors; tot i això, es pot consultar amb profit. El text proposat per Josep Palàcios25 ve també en ajuda del traductor amb dificultats. S'haurà comprès que el primer obstacle a salvar és l'establiment d'una base de treball impecable. De vegades, cap text conegut aporta una solució satisfactòria26, i el traductor s'hi decanta a fer la seua pròpia versió; així, al capítol 137, apareix un cert filòsof anomenat Lexi («aquell famós philòsof Lexi »), a més cèlebre («famós»), ens afirma Martorell, però del qual no n'hem conservat cap rastre. Martí de Riquer anota que el que diu aquest enigmàtic enamorat de la saviesa, és atribuït a Titus-Livi al capítol 357. També Josep Palàcios interpreta aquest «Lexi» com un nom propi. Ara bé, si consultem l'incunable, ens adonarem que la majúscula no existeix i que hom pot llegir «lexi» («aquell famós pbilòsof lexi») [sic]. Inclús si l'absència de la majúscula no és per si mateix suficient, la idea que se'ns imposa és que no es tracta d'un nom propi, sinó d'un adjectiu; però, quin? Sota aquesta forma no significa res. Cal, doncs, admetre una errada, o potser diverses. Admetem des d'un principi que es tracta realment de Titus-Livi, perquè el text ho especifica expressament en altra banda, i considerem diversos fenomens gràfics: en la inicial, la «l» simple pot tenir el valor de «ll» palatal (així, al mateix capítol, «liberta» per«lliberta», «lançada» per «llançada», etc.); encara que rarament, hom pot trobar «e» per «a», per confusió de la vocal àtona, el que suposaria que és la «i» final la que porta l'accent. Arribem així a «llaxí», el qual no significa res encara. Però si s'ha considerat que la «x» quan se li trau el peu esquerre, és molt a prop de la «t», sobre tot al text original, i que el tipograf s'ha equivocat, obtenim l'adjectiu «llatí», el que va ser, efectivament, Titus-Livi. La traducció francesa serà, doncs, «ce célèbre philosophe latin». Hom jutjarà que és un detall i que açò no canvia res de l'economia general de la novel·la. Ho concedim de bon grat, però si podem aportar la nostra pedra a l'establiment del text, per què continuar transmetent foscors? Per fi, he vist la meua paciència recompensada amb l'edició crítica moderna que ens faltava, preparada per l'equip del professor Albert Hauf, de la Universitat de València (Hauf, amb massa modèstia, explica que més que crítica, és criticable).

Traduir sense conèixer l'època, els seus costums, la seua mentalitat, pot conduir a greus contrasentits; el traductor s'ha d'informar, doncs, el millor possible de l'atmosfera en la qual es banyava l'autor. En el meu cas, açò serà molt útil atès que els títols publicats dins la Pléiade estan precedits d'una presentació i acompanyats de notes i de noduls explicatius. Així, he recollit i llegit nombroses obres, estudis i articles destinats bé directament a Tirant lo Blanc, bé al seu temps, i aquesta feina es prosseguirà fins a obtenir-ne el coneixement més exacte possible. Aquest treball servirà, igualment, a una nova tesi on el subjecte és l'univers poètic i l'escriptura d'aquesta novel·la. Per posar un exemple, L'arnès del cavaller de Martí de Riquer és una mina d'informació sobre les armes i les armadures catalanes medievals. El seu coneixement facilita considerablement la comprensió dels passatges guerrers. Un altre exemple: al capítol 3 trobem una curiosa expressió: «e les orelles dels llegints la mia dolor tal senyal facen», on es pregunta quin paper hi juguen exactament les orelles dels lectors. Saber que a l'Edat Mitjana només es considerava bona lectura la que es feia en veu alta o a mitjana veu, i que va ser a poc a poc que la lectura silenciosa s'imposà, pot ser d'alguna ajuda27. És, doncs, sense cap vacil·lació que traduiré «Que les lecteurs qui entendront ma douleur fassent de même», no sense introduir una nota explicativa. Res no és inútil, i instruir-se sobre com es menjava al segle XV pot il·luminar certs aspectes del text.

Precisat això, comença la traducció pròpiament dita. Els problemes teòrics que planteja aquest exercici són ben coneguts. Traduir sense trair ha estat sempre la preocupació del traductor escrupolós. Charles Fontaine, a la seua traducció dels Remèdes d'amour d'Ovidi (1555), deia que hi ha «tres coses que ha d'observar el qui vol bé traduir:

«La primera, és que retinga i restituesca els termes i dicció de l'autor, tan prop com és possible: açò que hom pot anomenar la pell.

»La segona, que restituesca també el sentit sencer en totes les parts (car no cal ésser tan curós dels mots que hom desatenga el fons o el torne obscur): açò és el que podem anomenar el cos.

»La tercera, és que restituesca i expresse també senzillament la natural gràcia, virtut, energia, la dolçor, elegància, dignitat, força i vivacitat de l'autor que vol traduir: açò és el que es pot anomenar l'ànima del discurs».

Afegeix: «Però ben pocs dels qui tradueixen respecten encertadament aquests tres punts, per la seua gran dificultat. Per què la major part dels savis i experts transcriptors són més curosos a traduir el sentit i la gràcia que els mots: del seu judici i dels quals he estat, sóc i vull ésser»28.

L'essencial està dit. I ben dit. L'exercici consistirà, doncs, en expressar el sentit i la bellesa del text, allunyant-se el menys possible de la lletra, però sense ser-ne esclau. Maurice Pergnier, en un article recent29, resumeix bastant bé totes les dificultats de l'empresa: «És clar que nombrosos textos resisteixen a la traducció total i que nombroses traduccions -particularrnent textos literaris-, sense pecar necessàriament per inexactitud, resten insatisfactòries perquè no aconsegueixen restituir més que una part del que constitueix la carn viva de l'original». Continua més endavant tractant de «la lletra» i de «l'esperit»: «Es confon molt sovint el respecte als textos amb el respecte als mots, i aquests darrers han servit sovint com a pretext a una veneració poruga dels oripells del pensament, per temor que el mateix pensament s'evadesca o es revele incontrolable o impertinent. Tot milita per permetre pensar que el respecte dels mots (o si hom prefereix, el respecte de la lletra) traeix molt més sovint el sentit (o si hom prefereix, l'esperit) que serveix aquest. El camí estret de la traducció es situa entre els dos extrems que són, d'una banda l'adaptació sense escrúpols, la qual substitueix el text original per una creació més o menys personal del traductor, i d'altra banda, el servilisme, voluntari o inconscient, a les estructures de la llengua de partença, la qual, en els casos més extrems, es torna un galimaties (un exemple recent ens és ofert per la Bíblia de Chouraqui). Siguen les que siguen les estratègies adoptades pel traductor (més o menys gran literalitat, o més o menys gran llibertat de formulació -eleccions dictades per la finalitat de la traducció i la naturalesa del text) les seues eleccions són guiades sempre per la preocupació del respecte del sentit en tots els seus components, no pel respecte a la lletra. Si les circumstàncies li permeten, damunt, de servir la lletra, com succeeix alguna vegada, ens hem d'alegrar, però aquest èxit és només el resultat d'un feliç afegit de gràcia». Estem ara ben previnguts. Primacia a l'esperit, doncs; a l'esperit i al plaer de la lectura.

De seguida sorgeix una evidència: els escriptors de l'Europa medieval, i del mateix Renaixement, no tenien la mateixa aproximació que nosaltres a l'escrit; el gust evoluciona, i la tècnica literària també, actuant l'un sobre l'altre en un incessant va i ve. Posaré un exemple: el de la repetició. Aviat esdevé insuportable a un lector modern. Dins les arts poètiques de l'Edat Mitjana30, és una figura poètica important, la qual pot prendre formes subtils, com l'annominatio, consistent a reproduir poc més o menys el mateix mot canviat-li només una o dues lletres. Es col·loquen en aquesta categoria tota la sèrie de les expressions on un verb és unit a un substantiu de la mateixa arrel31. Encara al segle XVI32, el procediment serà apreciat. Així, per a Ronsard, a la manera de Martorell i Galba, el que ell anomena la llengua «nombrosa» és una qualitat: per tant, quantes més repeticions hi hagen, més harmoniós serà jutjat el resultat. Açò no es correspon amb el nostre sentiment de la bella escriptura. ¿Llavors, cada vegada que trobem els mots «virtut», «virtuós», «virtuosament», hem de traduir-los invariablement per «vertu», «vertueux», «vertueusement»? Sembla preferible, sempre que serà possible, traslladar-los pel sentit, variable que tenien al segle XV. Un cavaller virtuós, no és el mateix que una dama virtuosa, ni el mateix que un rei virtuós; cadascú ha de correspondre a un model de virtut diferent. Així, per al cavaller, ser virtuós és donar prova de força i de coratge, de fortalesa física o moral; procedint d'una dona, s'entendrà sobre tot castedat (però, no únicament); per a un rei, procedirà de bondat, de generositat, etc. És a la llum del context que hom podrà determinar el sentit que ha de prevaler. Així, es poden evitar totes aquestes repeticions que per a un lector modern poden esdevenir fatigoses. Hom podria dir el mateix del mot «noble» i dels seus derivats. I d'altres vocables. Caldrà, doncs, evitar reproduir servilment allò que ja no correspon als nostres cànons d'estètica literària. Tanmateix, quan açò és un joc de paraules, el traductor haurà d'intentar trobar una correspondència: hi ha un cas cèlebre, que ja es troba dins la novel·la de Tristan de Béroul (entre 1150 i 1190), entre l'amer (infinitiu del verb aimer = estimar), la mer (la mar) i l'amer (l'amertume = l'amarg): (2205) Je suis roïne, mais le non (2206) En ai perdu par la poison (2207) Que nos beümes en la mer [ço és: Jo sóc reina, però he perdut aquest títol a causa del beuratge que hem begut sobre la mar]33, reprès per Chrétien de Troie en els seus Cligès (v. 545 i següents). El retrobem en un capítol del Tirant lo Blanc, el 118, quan Tirant veu la Princesa per primera vegada i resta perdudament enamorat. Diafebus li demana quin és el seu mal, i Tirant li respon: «e jo no tinc altre mal sinó de l'aire de la mar qui m'ha tot comprès». Si el joc de paraules era encara possible en el francès medieval, és difícil en el francès modern: l'aire de la mar (=el vent de la mar) / l'aire de l'amar (=l'alé de l'estima, ço és, de l'amor). Potser el traductor podria, aleshores, arriscar un altre joc de paraules sobre lames (=onada) / l'âme (=l'ànima); considérez que je ne souffre que du mal de lames, car les flots m 'ont oppressé. Però, si així ho fa, s'allunya d'una llarga tradició. Tota traducció obliga, de vegades, a opcions punyents.

El pleonasme tampoc no es gens rar, espècie de repetició del sentit, com «pujar alt»34 o «eixir (de) fora»35, que el traductor evitarà meticulosament. Però són les beceroles de l'art, i no cal fatigar el lector.

Bé, repetirem que la preocupació que ha de guiar el traductor és, doncs, en definitiva, la de restituir tot el sentit i totes les belleses del text, allunyant-se el menys possible de la lletra. És cosa de bon judici i de sensibilitat. Ronsard, en el seu Abrégé de l'art poétique français, afirma, tot seguint Quintilià, que el bon sentit és la font mateixa del bon estil. Si s'ha de restituir l'harmonia de l'obra mestra, l'orella absoluta és una necessitat ella mateixa absoluta. És a dir, que després d'haver evitat tots els paranys del sentit, o si es vol de l'objectiu, ens capbussem en allò subjectiu, en allò que fa que l'art no es podrà resumir mai en receptes o en trucs, i que la tal obra perfecta segons les regles no emocionarà el lector, mentre que una altra, coixa des del punt de vista dels preceptes, serà una pura obra mestra. El traductor posarà, doncs, tots els seus esforços per estar a l'altura de l'autor que tradueix, a fi que no puga ser acusat, com passa sovint, de traïció.

Potser no hauré satisfet completament la teua curiositat, lector insadollable. Hauria volgut dir-te molt més i fer-te participar més intensament en la labor solitària, però plena d'exaltació, de la traducció que s'està fent. Sàpigues, no obstant, que per redactar aquestes poques línies he hagut d'interrompre el meu treball, i que tan aviat com escriuré el punt i final, el reprendré sense trigar. Sàpigues que no conec cap repòs, que Tirant és tirànic, que dubte alguna vegada, però l'amor serà el més fort. Com a totes les històries d'amor (bé, a gairebé totes!36).



 
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