Selecciona una palabra y presiona la tecla d para obtener su definición.


ArribaAbajo Les «rouges du fond»

Bruno Riuz


Poète,
auteur compositeur interprète,
il est à l’origine de plusieurs
récitals de chansons
et poèmes.
Né à Arcachon en 1953,
vit à Toulouse depuis 1978.
Père réfugié républicain
espagnol, mère landaise.
Auteur de plusieurs livres
de poésie, de pièces de théâtre
et de poèmes.
Compositeur de plus de
300 chansons, musiques
de courts-métrages,
ballets et de scènes...
En 1990 il écrit Altavoz, livre
sur son père
lu en public
par Jean-Louis Trintignant
en 2000 au Festival de Barjac
dans le Gard.
Salué unanimement
par la critique, Bruno Ruiz
vient de sortir son cinquième
CD de Chansons «Nous».

Jeune avant d’être le fils d’un républicain espagnol, j’étais le fils d’un étranger. Un fils de pauvres. Il m’aura fallu longtemps pour le dire sans détour. Pour l’avouer sans orgueil. Simplement parce que c’est la vérité.

Nous habitions au bout d’un chemin de terre, à six dans trois pièces, sans sanitaire.

Les voisins nous appelaient les «rouges du fond»: je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. J’avais simplement honte d’être Espagnol par mon père. Le sentiment diffus, à l’école, que mon nom était un handicap social, un frein à la réussite, aux rencontres. Personne, que ce soit mes parents ou mes instituteurs, ne m’a expliqué pourquoi mon père avait dû fuir son pays.

Mon père était jardinier. Espagnol et travailleur, c’est vraiment autre chose qu’intellectuel et révolutionnaire. On ne fréquente pas les héros dont on parle dans les livres d’histoire. On n’appartient pas à un club de gens lettrés, de peintres, de poètes. Il n’y a pas de livres à la maison. On fait partie du grand marécage du peuple, sans autre repère que celui que les autres nous donnent. On se taille une opinion à la serpe.

C’est en grandissant que j’ai appris la cause de ces blessures secrètes. Je me suis construit seul, dans l’inconscience, dans le huis clos d’une famille qui se soudait pour faire face à la misère.

Je me suis construit dans le silence de ma langue, avec une haine rentrée, un amour paternel inavouable.

J’étais fier parce que je n’avais pas le choix d’être humble. Avant d’être en mesure d’analyser quoi que ce fut, j’étais du côté des opprimés, de la souffrance. À jamais contre l’injustice sociale.

Avant d’entendre parler de luttes de classes, j’identifiais déjà ceux qui n’avaient jamais été comme moi, ceux qui ne pourraient jamais me comprendre vraiment. Je nommais instinctivement mes ennemis.

Aujourd’hui que mon père est mort, je sais tout ce que je lui dois, tout ce que j’aurais voulu lui dire.

Je sais que ma vie a été fracassée par une guerre qu’il a perdue alors qu’il était du côté de ceux qui avaient raison.

Je sais que c’est un héros qui a été accueilli sur une plage barbelée par des démocrates qui préféraient parlementer avec Hitler et reconnaître la junte fasciste du Général Franco, plutôt que de célébrer et se ranger aux côtés de ceux qui défendaient la Démocratie et la Liberté.

Je n’oublierai jamais d’où je viens.

J’écris cela pour qu’on se souvienne de lui.