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ArribaAbajo Les Pyrénées, passage incertain...

Alem Surre García


Né à Carbonne (31) en 1944.
Famille adoptive espagnole
dans les Pyrénnées anégeoises.
Famille maternelle occitane
du Lauragais.
Famille paternelle galicienne.
Auteur occitan et français:
poète, dramaturge, libretiste.
Milgrana causa
parue février 2002.
Poèmes mis en musique
par Troubadour Art Ensemble
(CD enregistré par la Deutsche
Gramophone).
Traduction française, espagnole
et arabe.

Dans ma première famille adoptive, j’entends parler castillan, catalan, occitan et français. Il y a d’abord le grand-père aragonais et reconnu par tous testut coma un aragonés. Il ne parle que de la Fresneda et d’Alcañiz où l’huile d’olive est souveraine et l’eau souvent absente. Il refuse de revenir en Espagne tant que Franco est au pouvoir. Mais il mourra avant et ne reverra pas son pays. Alors j’ai fait le voyage et j’ai vu les oliviers et j’ai bu à la fontaine du village une eau qui donne toujours soif.

À Badalona, banlieue ouvrière de Barcelone, vivait une partie de la famille. Ils venaient passer leurs vacances chez nous, dans cette vallée blanche de talc où tant d’Espagnols travaillaient aux mines. Ils nous régalaient de grandes tartines de pain enduites de tomates et d’une huile d’olive qu’ils ramenaient bien évidemment d’Alcañiz. Ils nous affirmaient que, contrairement à ce que la presse française disait, tout était en train de changer en Espagne, malgré Franco...

Mon premier père adoptif était un anarcho-syndicaliste convaincu. Je n’ai compris que plus tard. Il m’a donné un livre qu’il m’avait gardé précieusement, sur les expériences coopératives et la guerre civile. Je viens d’écrire à ce propos un texte poétique qui a été mis en musique et doit être publié en cette fin de mois. J’y évoque la tía Churra sur son balcon et son fameux cri de liberté.

La grand-mère, elle, est andalouse. Elle est connue pour être fière et intraitable. Si belle dans sa jeunesse, si brune. Ma fierté. Elle vient du désert de Níjar près d’Almería, le «miroir». J’ai promis d’aller voir son village. J’y vais la semaine prochaine.

Un jour, j’ai enfin retrouvé, après de longues années d’enquête, ma famille paternelle originaire de Galice. Ils avaient fui et la misère et le franquisme. La grand-mère, comme beaucoup de galiciennes de son temps, s’était louée comme nourrice à Barcelone. Mon père et ses frères étaient repérés comme des «rouges». Ils ont participé activement à la Résistance en Ariège. Ils ont libéré le camp d’internement du Vernet où beaucoup d’Espagnols avaient souffert. Mon oncle Paco avait connu lui aussi les tourments d’un autre camp d’internement, celui d’Argelès, mais il ne nous en parlait jamais.

Alors j’ai appris l’histoire, les nombreux camps d’internement français, le cynisme et les terribles contradictions d’une certaine république française. Je veille... J’écris en occitan, langue du passage incertain. Ma façon de résister à toute machine éradicatrice. Question de dignité. Les Pyrénées me sont un horizon inassouvi. C’est promis, j’irai jusqu’au bout...